11 mai 2023

Des Actions en Justice Liées au Climat en Vue pour les Administrateurs

Par : Andrew MacDougall, associé, Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.; Jennifer Fairfax, chef, Litiges, enquêtes et application des lois en matière d’environnement; associée, Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.; John M. Valley, chef, Facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG); associé, Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l. et Ankita Gupta, sociétaire, Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L./s.r.l.

La question de savoir si les administrateurs ont l’obligation fiduciaire d’examiner et d’approuver la stratégie de l’entreprise en matière de lutte contre les changements climatiques n’a pas été examinée par les tribunaux. Cependant, ClientEarth, une ONG environnementale dont le siège social est situé à Londres, cherche à démontrer pour la toute première fois que c’est bel et bien le cas. En février, ClientEarth a déposé une action dérivée devant la Haute Cour de justice de l’Angleterre et du pays de Galles contre le conseil d’administration de Shell plc (Shell), alléguant que la stratégie climatique de l’entreprise est déraisonnable.

ClientEarth demande à la Haute Cour de justice de l’Angleterre et du pays de Galles l’autorisation d’intenter une action, alléguant que les administrateurs de Shell, en omettant d’adopter et de mettre en œuvre une stratégie climatique cadrant avec l’Accord de Paris, ont manqué à leur obligation, en vertu de la Companies Act du Royaume-Uni, de promouvoir le succès de l’entreprise au profit de l’ensemble de ses membres et d’agir avec un soin, une compétence et une diligence raisonnables. Shell nie les allégations, affirmant que sa stratégie climatique (que 80 % de ses actionnaires ont approuvée lors d’un vote Say on Climate en 2022) comprend un plan visant la carboneutralité d’ici 2050 qui est conforme à l’objectif de 1,5 °C de l’Accord de Paris.

Un exemple concret d’activisme en matière d’actions en justice liées au climat

Au cours des deux dernières années, des militants en faveur du climat ont pris Shell pour cible dans le cadre de plusieurs actions en justice liées au climat à l’échelle mondiale.

En mai 2021, le tribunal de district de La Haye a ordonné à Shell de réduire les émissions de gaz à effet de serre provenant de ses produits pétroliers et gaziers de 45 % par rapport aux niveaux de 2019 d’ici 2030. Le tribunal a noté que les entreprises néerlandaises sont soumises à une norme de soin en vertu du Code civil néerlandais qui impose une obligation de ne pas agir contrairement à ce qui est généralement accepté comme une conduite sociale appropriée. Le tribunal a estimé que pour satisfaire à cette norme, Shell avait la responsabilité autonome de réduire les émissions de gaz à effet de serre, indépendamment de la capacité ou de la volonté de tout pays de respecter ses propres obligations en matière de droits de la personne.

En février 2022, Global Witness, un autre groupe à but non lucratif, a déposé une plainte pour écoblanchiment contre Shell auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis, alléguant que l’entreprise avait surestimé les sommes qu’elle consacre aux énergies renouvelables. Global Witness a demandé à la SEC d’enquêter sur la comptabilité et la production de rapports de Shell concernant les « énergies renouvelables et solutions énergétiques », affirmant qu’une part importante des dépenses de Shell dans cette catégorie finance le gaz naturel, et non les énergies renouvelables.

Les militants en faveur du climat ont également entamé des actions au Canada. En 2021, Greenpeace Canada a déposé une plainte contre Shell auprès du Bureau de la concurrence du Canada, alléguant que le programme « Adoptez une conduite carboneutre » de l’entreprise donne des indications fausses ou trompeuses au public, en violation de la Loi sur la concurrence fédérale. Greenpeace Canada affirme que l’affirmation de Shell selon laquelle les clients peuvent réduire les émissions de carbone liées à leurs achats de carburant en compensant ces émissions par des projets de compensation forestière soutenus par Shell est trompeuse, car elle détourne l’attention de la nécessité de réduire l’utilisation des produits à base de combustibles fossiles de Shell et de la nécessité pour Shell de prendre ses propres mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Une première mondiale

L’action en justice de ClientEarth est la première intentée contre une entreprise dans le cadre de laquelle les administrateurs sont poursuivis personnellement en raison de la stratégie climatique de l’entreprise. ClientEarth intente l’action dérivée en sa qualité d’actionnaire (symbolique) de Shell, mais elle n’agit pas seule. L’action est également soutenue par des investisseurs institutionnels détenant plus de 12 millions d’actions de la société et gérant des actifs de plus de 450 milliards d’euros, dont les fonds de pension britanniques Nest et London CIV, le fonds de pension national suédois AP3, le gestionnaire d’actifs français Sanso IS, le gestionnaire d’actifs belge Degroof Petercam Asset Management (DPAM) et le gestionnaire d’actifs danois Danske Bank Asset Management, ainsi que les fonds de pension Danica Pension et AP Pension.

Il ne sera pas facile pour ClientEarth d’agir en vertu de la Companies Act britannique, qui prévoit que les réclamants doivent demander au tribunal l’autorisation d’intenter une action dérivée. Lors de cette première étape, le réclamant doit persuader le tribunal que la preuve justifie une action en justice, en supposant que les allégations soient toutes vraies. Les facteurs que le tribunal doit prendre en compte comprennent les suivants :

  • si le réclamant agit de bonne foi dans le cadre de son action en justice;
  • si l’entreprise a décidé de ne pas donner suite à l’action;
  • si l’acte ou l’omission donne lieu à une cause d’action que le réclamant pourrait poursuivre en son propre nom plutôt qu’au nom de l’entreprise; et
  • l’importance qu’une personne agissant conformément à l’obligation de promouvoir le succès de l’entreprise accorderait à l’action.

Le tribunal doit refuser l’autorisation de poursuivre l’action s’il est convaincu qu’une personne agissant conformément à l’obligation de promouvoir le succès de l’entreprise n’intenterait pas l’action ou si l’acte ou l’omission faisant l’objet de la plainte a été autorisé ou ratifié par l’entreprise.

Risques d’actions en justice liée au climat au Canada

Les administrateurs ont des obligations fiduciaires en vertu du droit canadien des sociétés, et ces obligations fiduciaires sont très similaires à celles des administrateurs britanniques. Les administrateurs canadiens sont tenus d’agir honnêtement et de bonne foi dans l’intérêt de la société, et de faire preuve du soin, de la diligence et de la compétence qu’une personne raisonnablement prudente exercerait dans des circonstances comparables. La Cour suprême du Canada a déclaré que les administrateurs canadiens, lorsqu’ils déterminent ce qui est dans l’intérêt de l’entreprise, peuvent, entre autres, tenir compte de l’environnement – ce qui a maintenant été expressément ajouté à la Loi canadienne sur les sociétés par actions

Les lois canadiennes sur les sociétés permettent également aux actionnaires et à d’autres réclamants d’intenter des actions dérivées contre les administrateurs. Comme dans le cadre des actions dérivées prévues par le droit britannique, les réclamants au Canada doivent demander l’autorisation du tribunal avant de pouvoir intenter une action dérivée. Les réclamants doivent démontrer qu’ils ont informé les administrateurs de la société dans le délai imparti, qu’ils agissent de bonne foi et qu’il est dans l’intérêt de la société d’intenter l’action; il s’agit d’obstacles procéduraux importants.

Bien que les actions en justice liées au climat ne soient pas nouvelles au Canada, les actions en justice liées au climat touchant des entreprises n’en sont encore qu’à leurs débuts. À ce jour, la plupart des actions en justice liées au climat ont visé des gouvernements et des acteurs gouvernementaux. Il reste à voir si des actions similaires à celle de ClientEarth seront intentées au Canada. L’affaire mérite cependant d’être suivie, car son issue pourrait avoir des répercussions importantes sur la probabilité que des affaires similaires soient intentées contre des administrateurs de sociétés canadiennes.

 

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