12 juillet 2023
Administrateur à l’Affiche – Karen Miner, IAS.A
KAREN MINER IAS.A
Administratrice, EfficiencyOne et Coopératives et mutuelles Canada; directrice générale, International Centre for Co-operative Management
Administrateur à l’affiche est une fonctionnalité qui donne l’occasion à une administratrice ou à un administrateur de premier plan de discuter de perspectives et de développements importants pour les salles de conseil concernant la gouvernance climatique. Chapter Zero Canada s’est récemment entretenu avec Mme Karen Miner sur la façon dont divers conseils d’administration abordaient la gouvernance climatique, notamment l’engagement des parties prenantes au sein d’organisations détenues et contrôlées par des membres, et comment l’objectif d’une organisation pouvait toucher sa stratégie de transition climatique.
Vous possédez une expérience d’administratrice auprès de divers types de conseils d’administration, dont pour des sociétés à but non lucratif, des organismes de bienfaisance, des coopératives de crédit et des coopératives. Les questions liées à la gouvernance climatique ont-elles été abordées d’une autre manière au sein de ces structures organisationnelles par rapport à, par exemple, dans une société par actions? Pouvez-vous donner des exemples précis?
J’ai effectivement eu l’occasion de siéger à différents types de conseils d’administration au cours des 20 dernières années. La base des valeurs éthiques de chaque organisation est un facteur important dans un large éventail de secteurs, que ce soit dans celui du commerce de détail, de la finance, de la défense de l’environnement, de la protection du territoire, de l’efficacité énergétique, ou du commerce équitable. Je siège actuellement aux conseils d’administration de Coopératives et mutuelles Canada, (une association nationale), et d’EfficiencyOne (une entreprise à but non lucratif spécialisée dans l’efficacité énergétique). Je suis également très active dans le secteur des coopératives dans le monde par le biais de mon travail au sein l’International Centre for Co-operative Management.
Ces questions posées dans le cadre d’Administrateur à l’affiche s’axent sur des sociétés à but non lucratif, des organismes de bienfaisance, des coopératives de crédit, des coopératives et des mutuelles. Hormis le fait qu’elles soient sans but lucratif, ces structures n’ont aucun autre point commun particulier. N’oubliez pas que les coopératives, les coopératives de crédit et les mutuelles peuvent être de très grandes entreprises présentes dans tous les secteurs de l’économie. Peu importe le type d’organisation, la question du climat est désormais au cœur des préoccupations, et la façon dont elle est abordée dépend moins du type d’organisation que de sa personnalité, qui se manifeste dans son état d’esprit (paradigme ou vision du monde), son objectif et ses valeurs.
Nous sommes maintenant entrés dans une ère où les organisations devraient être des chefs de file en matière de justice environnementale et de climat. Cependant, alors que pendant des décennies les mesures nécessaires n’ont pas été prises, les organismes à but non lucratif et de bienfaisance ont agi pour combler le vide laissé dans le domaine du leadership pour lutter contre le changement climatique. Cet enjeu a toujours été majeur aux yeux de ces porte-parole et de ces organisations pionnières. C’est autour des tables des conseils d’administration de ces organisations que se trouvent des administrateurs compétents en matière de climat, lesquels possèdent une vaste expérience et de solides connaissances sur le sujet.
Dans le cas des coopératives de crédit, des coopératives et des mutuelles (dorénavant appelées collectivement « coopératives »), nous parlons d’un modèle unique d’entreprise axée sur les personnes (non sur les profits) et qui dispose d’un système de gouvernance démocratique et participative. Un ensemble de valeurs universelles guident ces organisations, mais ces valeurs ne sont pas uniformément appliquées par toutes ces structures. Les coopératives qui se conforment le plus à ces valeurs sont indéniablement des chefs de file sur le plan des enjeux climatiques, leur mandat étant éthique, guidé par une mission et intergénérationnel, tout en étant, évidemment, financièrement viable. Le mandat intergénérationnel est primordial. En effet, affronter la crise climatique nécessite d’avoir une vision à long terme et de se soucier des générations futures plutôt que de se concentrer uniquement sur les membres actuels (pour les coopératives) ou sur les actionnaires existants (pour les sociétés détenues par des investisseurs). Lorsqu’il s’agit de s’attaquer à des défis complexes et systémiques, comme celui posé par le climat, tendre à l’optimisation d’un avantage intergénérationnel représente un atout de poids pour les coopératives par rapport à d’autres types d’organisation. Au Canada, The Co-operators, Vancity (coopérative de crédit), et Sustainability Solutions Group comptent depuis longtemps parmi les chefs de file en ce qui concerne le climat et la durabilité.
Les perspectives, la vision et le rôle de surveillance associés aux enjeux climatiques et de durabilité qu’ont les conseils d’administration de toutes les organisations font l’objet d’un examen de plus en plus minutieux. Les administrateurs doivent constamment évaluer leurs environnements externes et internes afin de mieux comprendre les attentes changeantes des parties prenantes dans leur contexte. Pouvez-vous nous parler des attentes en matière de participation et d’engagement liés au changement climatique et de certains des défis que pose cette question dans le cadre d’organisations détenues et gérées par des membres et de mutuelles?
Comme toutes les organisations, les coopératives réunissent diverses parties prenantes stratégiques, mais contrairement aux sociétés à but lucratif, les actionnaires ne sont jamais les parties prenantes principales. Les parties prenantes principales des coopératives sont leurs membres. Ces derniers sont les utilisateurs de l’organisation (typiquement des consommateurs, des producteurs ou des travailleurs), qui ont le droit et la responsabilité de détenir et de contrôler l’organisation ainsi que d’en bénéficier. Par conséquent, les membres ont le droit d’exprimer leur opinion et d’avoir une représentation dans la gouvernance de la structure. À l’inverse des sociétés par actions qui donnent un nombre de voix en fonction du nombre de parts détenues, les coopératives reposent sur un principe démocratique et chaque membre dispose du même nombre de voix (un membre, un vote).
Cette proximité avec les membres implique que le groupe d’intervenants le plus important est en contact direct avec l’organisation. De même, la compréhension de leurs attentes s’en révèle facilitée par rapport à d’autres types d’organisations. En outre, en étant contrôlée de façon démocratique par ses membres, des occasions sont données à ces derniers de participer et de s’impliquer dans la définition de la mission, de la vision et des valeurs de la coopérative. En ce qui concerne les questions climatiques et d’autres mandats ayant trait à la durabilité, les instances dirigeantes et la direction peuvent prendre plus aisément les choses en main sur ces sujets en recevant le soutien de la majorité des membres. Si les membres ne comprennent pas la responsabilité de la coopérative dans ces domaines, le potentiel de leadership s’en trouve diminué.
Que ce soit les entreprises, les sociétés à but non lucratif, les organismes de bienfaisance ou les coopératives, aucun type d’organisation ne démontre un leadership suffisant sur les questions liées au climat en cette période critique. La meilleure solution consiste à veiller à ce que les enjeux climatiques soient une priorité absolue, et à ce que toutes les organisations réfléchissent et agissent de toute urgence, en adoptant des mesures qui dépassent les normes établies.
L’objectif organisationnel des sociétés à but non lucratif, des organismes de bienfaisance et des coopératives est assez fondamentalement différent. Cela peut ainsi entraîner une implication et une action plus importantes en ce qui concerne leur stratégie et leur cadre de présentation de rapports en lien avec le climat. Qu’est-ce que cela signifie sur le plan des possibilités et des risques pour l’organisation? Pouvez-vous nous dire de quelle manière l’objectif d’une organisation influence l’approche d’un conseil d’administration en matière de transition climatique stratégique ainsi que les actions requises pour l’adopter?
En répondant à la question 3, je souhaite être prudente et ne pas assimiler objectif et type organisationnel dans la mesure où le fonctionnement de tous types d’organisation présente beaucoup trop de diversité pour permettre une généralisation. Comme cela est mentionné dans ma réponse à la question 1, l’état d’esprit, la mission et les valeurs sont des moteurs essentiels à une implication vis-à-vis des questions climatiques. De même, les types d’organisations qui mettent moins l’accent sur les profits présentent réellement des avantages pour aborder ces enjeux. Lorsque l’importance de la réalisation de bénéfices est réduite (comme c’est le cas dans les coopératives) ou proscrite (comme pour les organismes de bienfaisance et les sociétés à but non lucratif), la pression pour générer des gains financiers ne constitue pas une distraction et permet la définition d’un objectif davantage axé sur la planète et sur les gens (plutôt que sur les profits). Il en résulte également une compréhension plus large de l’« analyse de rentabilisation » sur le plan de la durabilité ainsi qu’une facilitation de l’internalisation des effets externes – en d’autres termes, prendre la responsabilité de toutes les conséquences tant positives que négatives par rapport à ce que nous produisons et ce que nous consommons en tant qu’organisations.
Pour le prouver, prenons l’exemple spectaculaire de Patagonia, une organisation à mission de premier plan, qui a récemment changé son statut d’entreprise particulière (société à but lucratif ayant obtenu une certification B Corp puis California Benefit Corporation) pour désormais avoir la Terre pour unique actionnaire. Pour combattre la crise climatique tout en gardant ses valeurs intactes, une nouvelle configuration de l’organisation de Patagonia était nécessaire : les nouveaux propriétaires de Patagonia sont la Holdfast Collective (une société à but non lucratif qui détient 98 % de l’entreprise) et le Patagonia Purpose Trust (qui détient 2 % de l’entreprise ainsi que l’intégralité des actions à droit de vote). Ces derniers utilisent la richesse de l’entreprise afin de tout mettre en œuvre pour protéger notre planète.
Pour ce qui est des risques, nous devons changer de perspective et gouverner : en portant un regard neuf sur ce que signifie être une entreprise à mission à travers le prisme des valeurs éthiques, de la complexité du système et d’un point de vue intergénérationnel; en élargissant notre compréhension de l’impact (dans ses dimensions sociales, économiques et environnementales); en déterminant un axe stratégique important; et en prenant des mesures rapides et significatives. Nous vivons à l’ère de la chance et de la nécessité de prendre en compte les enjeux climatiques. Je demande à toutes les organisations, à tous les conseils d’administration et à chaque administrateur et administratrice d’agir concrètement en faveur du climat