7 mars 2023

Ajout du volet autochtone au cadre ESG

Par Jean Paul (JP) Gladu, IAS.A 

La soupe alphabétique de la gestion d'entreprise contemporaine est incomplète. Il s'avère qu'il y a un "I" dans "entreprise" - ou il devrait certainement y en avoir.

Pour de bonnes et importantes raisons, les Canadiens repensent certains des aspects les plus fondamentaux des affaires et de l'économie. Les préoccupations environnementales sont devenues primordiales. Chaque entreprise alerte et compétitive accorde désormais une attention particulière à la diversité de sa main-d'œuvre et à l'inclusivité de ses activités de recrutement et de fidélisation. Une bonne gouvernance attire un engagement soutenu des grandes entreprises. La responsabilité sociale est intégrée aux plans d'affaires, et non un simple ajout mineur à l'entreprise principale.

Les exigences en matière d'environnement, de social et de gouvernance (ESG) ont été accueillies avec scepticisme il y a quelques années, tout comme la poussée visant à élargir l'engagement autochtone au sein des entreprises est vue de nos jours. Cependant, les entreprises ont rapidement découvert quelque chose de tout à fait remarquable : adopter les principes ESG n'était pas une attaque gratuite contre le résultat net de l'entreprise mais plutôt un élément clé de la construction d'entreprises compétitives, durables et innovantes. Le gouvernement continue de pousser ces principes avec force, par le biais d'efforts moraux et réglementaires, ne reconnaissant pas toujours les défis et les opportunités différentiels auxquels sont confrontés les divers secteurs économiques du pays. Cette approche unique s'applique particulièrement aux affaires autochtones, où la rhétorique officielle et la politique ne sont pas toujours bien connectées aux réalités commerciales.

Pourquoi ajouter le volet autochtone au cadre ESG

Il est temps d'ajouter formellement le "I" pour Indigène à l'équation commerciale. Il ne s'agit pas d'un exercice de "cocher une case", mais d'une reconnaissance du potentiel largement inexploité des entreprises et des travailleurs autochtones, et de la reconnaissance que l'avenir économique du Canada se construira en partenariat avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits.

Mes collègues autochtones débattent de la question de savoir si le "I" doit occuper son propre espace ou s'il existe un "I" dans chaque élément de l'ESG. Je suis fermement du côté de ne pas créer son propre espace. L'histoire montrera que mettre les Autochtones à l'écart, comme le font nos gouvernements avec un ministère autochtone, ne sert qu'à ghettoïser les questions autochtones. La chose facile à faire est de qualifier quelque chose de problème autochtone et de le mettre à l'écart, souvent là où il sera traité de manière inadéquate en raison d'un manque significatif de ressources financières ou politiques.

Laisser de la place à la conversation dans "Environnement" a clairement du sens. En tant que gardiens originaux de la terre, qui d'autre voudriez-vous avoir en charge ? Les défis "Sociaux" au sein de nombreuses nations autochtones sont sûrement une tache noire sur le visage du Canada. Si nous pouvons aborder et résoudre les problèmes des communautés les plus touchées, nous pouvons sûrement générer de meilleurs résultats socio-économiques grâce aux décisions et à la gouvernance des entreprises. Enfin, "Gouvernance". Les actionnaires autochtones d'une société de développement économique sont les membres de la communauté eux-mêmes, détenus en fiducie par le Chef et le Conseil. Les membres de la communauté ne se concentrent pas sur les résultats trimestriels, mais plutôt sur la Pensée des Sept Générations - un principe basé sur la philosophie autochtone selon lequel les décisions que nous prenons aujourd'hui devraient aboutir à un monde durable sept générations dans le futur. Maintenant, il n'est pas acceptable d'attendre sept générations pour un rapport trimestriel ; cependant, les actionnaires plus larges s'intéressent vivement à la viabilité à long terme d'une société. Il y a des leçons de gouvernance à apprendre des deux côtés du bilan. En poursuivant le reste de cet article, sachez que lorsque l'ESG est mentionné, il inclut le "I".

Faire en sorte que la prise en compte des facteurs ESG soit logique pour les entreprises

Lorsque les exigences en matière d'ESG et de "I" ont été entreprises comme un signe de politiquement correct, elles pouvaient être traitées par une petite addition au budget et des missives occasionnelles de la direction générale. Lorsque les entreprises ont réalisé que ces domaines étaient essentiels à la réussite de l'entreprise, ils ont été intégrés aux opérations commerciales générales et ne sont plus considérés comme un geste symbolique. Les exigences en matière d'ESG doivent être fondées sur le commerce et l'économie solides. Si les arguments commerciaux ne sont pas viables, les initiatives de signalisation de la vertu nuiront à l'entreprise et compromettront le soutien aux efforts futurs.

Les initiatives ESG doivent être basées sur des objectifs clairs, des rapports précis et une transparence totale. Mais ces engagements doivent être entrepris avec une évaluation complète des risques et, également, des opportunités, avec une détermination de l'entreprise à renforcer la viabilité à long terme de l'entreprise. L'objectif est de passer de l'accomplissement d'une obligation nouvelle et imposée de l'extérieur à la réalisation que l'engagement autochtone est désormais un élément clé pour des entreprises fortes et hautement motivées.

La satisfaction des exigences nationales et internationales, comme l'objectif de zéro émission nette, demande un vrai leadership, à la fois pour identifier des objectifs réalistes et pour orienter les actions de l'entreprise. Pour ceux qui sont dans les comités de direction de ce pays, l'obligation s'étend à inspirer l'organisation, à construire la confiance avec les actionnaires et à développer des liens solides avec les communautés desservies. Faire cela nécessite un leader pour créer des cohortes au sein de l'entreprise, des groupes qui peuvent traduire la vision ESG de l'entreprise en initiatives pratiques, abordables et durables qui accélèrent et élargissent l'engagement de l'entreprise dans tous les domaines.

Accroître la participation des Autochtones 

Dans le domaine autochtone - encore à un stade formateur dans la plupart des entreprises et organisations - un engagement en faveur de la réconciliation économique peut transformer l'entreprise et les communautés environnantes. Pour y parvenir, il faut s'engager avec les leaders autochtones et participer avec les détenteurs de connaissances traditionnelles. Être ouvert à être dirigé par les peuples autochtones est central pour créer des partenariats réels et durables.

Reconnaître également à quelle vitesse le monde change. L'idée de "rendre la terre" gagne du terrain dans toute la société canadienne, alors que les gouvernements, les propriétaires fonciers privés et les entreprises reconnaissent la valeur collective de donner du pouvoir aux peuples autochtones en leur restituant le contrôle des terres traditionnelles. Lorsque cela s'est produit, comme avec les traités modernes du Nord, tous les peuples ont grandement bénéficié.

Le tokenisme et les actions symboliques ne rallieront pas les communautés autochtones. Des innovations spectaculaires sont nécessaires : inclure les peuples autochtones locaux dès le début d'un projet, prévoir des investissements en capital autochtone dans l'entreprise, inclure des représentants autochtones dans les conseils d'administration, et solliciter l'avis des Autochtones sur la conception du projet. Un vrai partenariat va plus loin et implique d'embaucher des sous-traitants autochtones pour travailler sur la construction et pour remplir les chaînes d'approvisionnement, et de recruter du personnel autochtone pour servir dans la direction et le conseil d'administration.

Les meilleurs projets et les entreprises les plus réussies évitent les accommodements à court terme et recherchent des partenariats à long terme. La planification des projets est construite autour de la Pensée des Sept Générations, impliquant les peuples autochtones depuis la conception jusqu'à la mise hors service, et intégrant la surveillance des opérations de l'entreprise et l'utilisation et l'entretien des terres, le cas échéant, dans la surveillance de l'entreprise.

Jusqu'à récemment, les éléments centraux de l'ESG, et surtout le "I", opéraient en isolation. L'ESG inclusif du "I" est devenu beaucoup plus fort à mesure que les différents thèmes convergent pour devenir une force puissante et à plusieurs facettes pour le changement social.

Considérez les développements sur la scène internationale. Les COP15 et COP27 ont inclus une participation substantielle des Autochtones, tant par le biais de plaidoyers environnementaux que de soutien autochtone à un développement soigneusement planifié. Les peuples autochtones, depuis longtemps relégués à regarder par les fenêtres de l'extérieur, ont désormais leur place à la table.

L'ajout de participants autochtones a eu des effets positifs. Les conversations sur le changement climatique et la protection de la biodiversité ont été renforcées grâce au leadership et à la participation autochtones dans des éléments tels que la Stratégie nationale des zones protégées, ainsi que de nombreuses collaborations autochtones locales et régionales.

Rôle des conseils d’administration 

Les conseils d'administration jouent un rôle vital pour s'assurer que les entreprises explorent les possibilités et les responsabilités de la façon dont le "I" dans l'ESG sera encadré. Le temps est court lors des réunions de comité et du conseil d'administration, et les pressions sur l'entreprise sont complexes et souvent contradictoires. Avec le changement qui se produit à la vitesse du XXIe siècle, et avec des agitateurs et des critiques qui se pressent pour demander une réorientation des entreprises, les entreprises s'adaptent ou déclinent.

Pour les membres du conseil d'administration, aborder les questions autochtones et ESG est peut-être l'une des parties les plus complexes, difficiles et urgentes de leurs responsabilités. Ces domaines sont marqués par un changement constant et des interventions fréquentes de personnes extérieures. La société et les gouvernements exigent de plus en plus, laissant aux membres du conseil d'administration la tâche de naviguer dans des réglementations complexes, des attentes changeantes et une attention du public. Les salles de réunion peuvent être closes et confidentielles, mais elles ne sont pas à l'abri ou séparées des exigences d'une société, d'un gouvernement et de médias toujours vigilants.

Les conseils d'administration doivent avancer avec courage, rapidité et conviction. Ils doivent évaluer le ris que de ne pas innover. Ils doivent élaborer des stratégies inclusives et globales qui ont été testées par rapport aux attentes des parties concernées et aux meilleures pratiques dans le monde des affaires. Adopter une approche sensible et prudente, liée également au bien-être financier de l'entreprise et au désir de justice sociale et environnementale, n'est pas seulement un bon moyen de faire avancer les priorités ESG et autochtones. C'est la bonne chose à faire.

Ce n'est pas un travail facile - mais il est d'une importance critique. Chaque personne doit se demander, ainsi qu'aux autres membres du conseil d'administration, comment ils envisagent de tracer l'avenir, en définissant les repères et les points de référence d'une nouvelle trajectoire d'entreprise.

La métaphore de la construction navale fonctionne ici. Le voyageur sait quelque chose sur le chemin à parcourir. Il sait qu'il y a des bas-fonds à naviguer et des tempêtes à affronter. Avec ces informations, le voyageur conçoit et construit un navire pour les emmener à destination. Il en va de même pour l'inclusion du "I" dans l'ESG - un navire solide, des cartes de navigation, un équipage compétent et le courage de naviguer dans l'inconnu sont toutes des exigences fondamentales.

L'expérience fournit des conseils et des avertissements. Même si les gens sont d'accord publiquement avec les questions autochtones et les principes environnementaux, sociaux et de gouvernance, il y aura de la résistance, parfois agressive et confrontante, parfois souterraine et secrète. Les conseils d'administration doivent planifier et encourager les conversations discordantes. Il est vital que les préoccupations des gens soient abordées et répondues de manière non conflictuelle. Chaque membre du conseil d'administration devra avoir le courage de s'exprimer et, également, d'écouter respectueusement les personnes avec des idées opposées aux vôtres. De ces dialogues douloureux et honnêtes peuvent découler des apprentissages vitaux et de réels progrès. Au sein du conseil d'administration et de l'entreprise, il est essentiel de maintenir des espaces sûrs et ouverts pour que des conversations importantes puissent avoir lieu.

L'inclusivité du "I" se prête aux déclarations de valeurs et aux déclarations de principes élevés. Pour les conseils d'administration, il est vital de passer rapidement des promesses à la planification, de la planification à l'action, et de l'action aux résultats. Les entreprises et les organisations prospèrent ou languissent en fonction de leurs performances. Il est temps pour les entreprises canadiennes de placer les objectifs et les engagements ESG avec un focus sur le "I" au même niveau que les indicateurs financiers dans les opérations d'entreprise. Les membres du conseil d'administration sont tenus d'agir dans le meilleur intérêt de leurs entreprises. L'expérience a clairement montré que l'ESG bénéficie à la fois à l'entreprise et au pays. L'une des grandes découvertes de notre époque est que faire ce qui est éthique et juste est aussi la base d'une entreprise ou d'une organisation très réussie.

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