8 novembre 2023

Composer avec le cadre juridique évolutif de la gouvernance climatique

Par : M. Michael Kelly, chef des affaires juridiques et du développement durable, OMERS

Les changements climatiques sont devenus un impératif stratégique dans les salles du conseil et pour les dirigeants du monde entier.  En plus de porter une attention accrue aux questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) plus larges, les conseils d’administration s’efforcent de comprendre les conséquences qu’aura le climat sur la valeur, les risques et les possibilités d’une entreprise. Parallèlement, la volonté d’adopter des objectifs de carboneutralité, la transition de l’information volontaire à l’information obligatoire par les sociétés et l’augmentation des actions en justice liées au climat ont directement engagé la communauté juridique sur les questions sur le climat.

Cet article examine les interactions entre le droit, la gouvernance et le climat à mesure que nous évoluons vers un cadre plus légaliste. En tant que personne travaillant à l’intersection de ces trois domaines, le rythme du changement en ce qui concerne les perspectives, les réglementations et les actions attendues a été important.

L’essor des actions en justice liées au climat

En décembre 2022, plus de 2 000 dossiers relatifs au climat avaient été déposés dans 65 juridictions, soit plus du double du nombre depuis 2017.[1] Trois tendances émergentes méritent d’être explorées : (i) les gouvernements sont contestés pour des raisons constitutionnelles en ce qui concerne leur législation relative au climat (ou son absence); (ii) des entreprises ou leurs administrateurs sont mis en cause pour des actions ou des informations insuffisantes sur le climat; et (iii) les entreprises sont remises en cause pour écoblanchiment (surestimation de leurs réalisations en matière de climat). 

Il sera intéressant d’effectuer le suivi des affaires constitutionnelles à mesure que les pays détermineront leur approche par rapport à leurs engagements de Paris. Jusqu’à présent, les affaires dépendaient souvent de la « justiciabilité » – si la réclamation était une affaire qu’il appartenait aux tribunaux de trancher ou si elle était essentiellement de nature politique et qu’il serait plus approprié de la trancher dans une autre instance.[2] Cependant, le seuil de justiciabilité est en train d’être dépassé à mesure que les gouvernements adoptent (ou abrogent) des lois précises relatives au climat, car ce type d’activité est plus susceptible de faire l’objet de contestations judiciaires pour des raisons constitutionnelles. Il convient de noter que des groupes de jeunes (généralement soutenus par des organisations non gouvernementales) soulèvent souvent ces affaires, prétendant que leur génération sera touchée de manière disproportionnée par les conséquences des changements climatiques.

Les affaires mettant en cause des sociétés et les opérations stratégiques sur le capital peuvent également inclure des réclamations contre des administrateurs individuels pour manquement à leur obligation fiduciaire.[3] Dans l’affaire ClientEarth c. Shell, les administrateurs ont été personnellement poursuivis pour manquement à leur obligation fiduciaire concernant l’approche de l’entreprise en matière de changements climatiques. La demande a été rejetée après que la Cour ait déterminé que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir qu’il s’agissait d’une affaire à première vue où l’approche des administrateurs s’écartait de la gamme des réponses raisonnables aux risques relatifs aux changements climatiques. Constatant que la loi respecte l’autonomie décisionnelle des administrateurs sur les questions commerciales et leur jugement quant à ce qui est dans l’intérêt véritable de tous leurs membres, la Cour a appliqué ce qui s’appelle communément la « règle de l’appréciation commerciale ».

Passer des informations volontaires aux informations obligatoires sur le climat

Les affaires concernant les informations révèlent, trop ou peu, l’état naissant et ambigu des informations sur le climat. Une fiducie de pension australienne a été poursuivie en justice par un jeune membre pour avoir omis de fournir suffisamment d’informations sur les risques ou de plans d’atténuation et pour avoir omis de s’acquitter de ses obligations d’administrateur en ce qui concerne les conséquences des changements climatiques sur ses investissements.[4] Bien que l’affaire ait été réglée avant le procès, la fiducie de retraite a accepté de mettre en œuvre des politiques intégrant le risque climatique dans ses décisions et processus de gestion des investissements pour mesurer, surveiller et rendre compte des résultats. Nous avons également vu des affaires et d’autres procédures alléguant que des entreprises avaient surestimé leurs informations (écoblanchiment), par exemple en exagérant leurs références en matière de climat.

Un nombre important d’initiatives mondiales sont en cours pour remédier au vide en matière d’informations. À ce jour, les informations relatives au climat ont été largement effectuées sur une base volontaire, le Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature (GTIFCC) fournissant le cadre le plus adopté au monde. Il existe un désir croissant d’une approche plus obligatoire, cohérente et harmonisée qui offrirait une clarté sur les risques et possibilités climatiques afin de permettre une meilleure prise de décision. La Securities and Exchange Commission des États-Unis et les Autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié des propositions concernant l’information obligatoire sur le climat. La Fondation IFRS a créé le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité (ISSB) et publié deux normes d’information sur la durabilité, dont une sur l’information sur le climat en juin 2023. Elle travaille actuellement avec les juridictions en vue de l’adoption. 

L’harmonisation des normes d’information à l’échelle mondiale est un thème récurrent chez les investisseurs et les sociétés. Le besoin est crucial au sujet d’une question sans frontières comme les changements climatiques et les flux de capitaux internationaux nécessaires pour soutenir la transition énergétique. Les normes ISSB, qui s’appuient sur les travaux du GTIFCC et intègrent d’autres initiatives de signalement, notamment le Conseil des normes comptables, constituent un pas indispensable dans la bonne direction.

Ce passage d’un signalement volontaire à un signalement obligatoire pourrait se manifester de plusieurs manières en ce qui concerne les actions en justice liées au climat. D’une part, les entreprises auront plus de certitude sur ce qu’elles doivent signaler et sur la façon de le faire. D’autre part, le risque de litige peut augmenter avec davantage d’information, car il y a plus d’éléments à contester. Espérons que ce risque n’entraînera pas un « refroidissement » dans lequel les entreprises limiteraient leurs informations au strict minimum, d’autant plus que les données sur le climat demeurent imparfaites et que les renseignements sont généralement prospectifs. Dans ce contexte, la promotion de nouvelles règles obligatoires visant à encourager des signalements plus complets et plus utiles à la décision devrait s’accompagner d’un examen et d’un renforcement des protections de type « clause d’exception » pour les informations sur le climat orientées vers l’avenir. 

À la table de la salle du conseil

Si les administrateurs ont largement reconnu l’impératif stratégique des changements climatiques pour leur entreprise, ils sont également tenus de rendre davantage compte de leur gouvernance des questions sur le climat. Si l’objectif d’une bonne gouvernance est de créer un cadre qui permet et favorise une prise de décision judicieuse, la première chose à faire pour les administrateurs est d’examiner la manière dont les questions sur le climat sont gérées au sein de l’organisation. Cela commence au sein de la salle du conseil, par une compréhension stratégique des risques et des possibilités. Elle peut également inclure des matrices de compétences actualisées du conseil d’administration pour garantir la présence d’une expertise climatique et ESG plus large à la table.

Comprendre la structure de gouvernance climatique et les pratiques de gestion des risques de la direction révélera si l’approche de votre entreprise est organisée, disciplinée et réfléchie, permettant ainsi une prise de décision solide. Les affaires sur le climat d’aujourd’hui montrent que les tribunaux hésiteront à remplacer leur jugement en faveur des administrateurs, surtout lorsqu’il est clair que le conseil d’administration a correctement réfléchi à la question en cause (conformément au droit général des sociétés).

Au-delà de la salle du conseil, veiller à ce que les signalements suivent – et anticipent – les changements en matière d’information sur le climat vous placera dans une bonne position vis-à-vis de vos actionnaires et des autres parties prenantes, améliorera les conversations sur le climat, réduira les risques de litiges et, surtout, indiquera que l’entreprise est prête à réussir dans le développement et l’évolution de son approche stratégique des changements climatiques.

M. Michael Kelly est chef des affaires juridiques et du développement durable chez OMERS. Il a créé le cadre d’investissement durable d’OMERS en 2019 et préside son comité d’investissement durable. Administrateur agréé (C.Dir), M. Kelly est membre du conseil d’administration de la Coalition canadienne pour une bonne gouvernance et du Réseau de leadership d’investisseurs et membre du Conseil d’action en matière de finance durable du Canada.


[2] Par exemple, si un gouvernement en fait suffisamment pour protéger ses citoyens des effets des changements climatiques.

[3] Voir ClientEarth c. Shell Plc et Ors [2023] EWHC 1137 (Ch).

[4] McVeigh c. Retail Employees Superannuation Pty [17 décembre 2019, Order, Perram J] NSD1333/2018 (NSWFCA).

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