12 juillet 2023
Les Dix Points les Plus Importants à Prendre en Compte par le Conseil d’Administration en Matière de Climat et de Carboneutralité
Les litiges liés au changement climatique se multiplient, tant en termes de nombre d’affaires introduites que de types de plaintes traités. Les changements climatiques deviennent également la source de coûts importants : le Bureau d’assurance du Canada estime que les dommages assurés pour les phénomènes météorologiques violents ont atteint 3,1 milliards de dollars en 2022, la troisième année la plus élevée jamais enregistrée.[1] Les risques de litige augmentent également pour les entreprises, et les premières plaintes sont déposées contre des administrateurs et des dirigeants pour leurs actions ou leur inaction apparente sur les questions climatiques dans le cadre de la gouvernance, de la divulgation et de la surveillance de la gestion des risques et de la stratégie. Les plaintes contre les gouvernements peuvent également affecter l’environnement politique et opérationnel des entreprises ou entraîner des retards ou des rejets d’autorisations environnementales pour des projets. La récente nouvelle selon laquelle le Bureau de la concurrence du Canada va enquêter sur des allégations d’« écoblanchiment » ainsi que sur une plainte déposée par des professionnels de la santé contre l’Association canadienne du gaz pour des allégations relatives au gaz naturel dans sa campagne « Fuelling Canada » a attiré l’attention des conseils d’administration et des autorités de réglementation dans tout le pays.
Dans cet article, nous présentons une liste des dix principaux éléments à prendre en compte par les conseils d’administration lorsqu’ils envisagent, développent et définissent des engagements carboneutres et des stratégies ESG et climatiques plus larges pour les entreprises au Canada et dans le monde entier.
Préparer le terrain pour une transition crédible vers la carboneutralité
- Informations financières relatives aux changements climatiques
Au Canada et aux États-Unis, les entreprises seront probablement bientôt tenues de publier des informations sur le client, notamment sur leurs émissions de type 1, 2 et 3. La Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis a proposé des règles de divulgation liées au climat[2] qui exigent la divulgation des émissions des gaz à effet de serre des catégories 1 et 2, désagrégées et agrégées, ainsi qu’en termes absolus et en termes d’intensité. Les émissions de type 3 et leur intensité ne seront divulguées que si elles sont importantes ou si un déclarant a fixé un objectif ou un but en matière d’émissions de GES qui inclut celles de type 3. La Commodity Future Trading Commission des États-Unis poursuit ses consultations sur la surveillance potentielle des risques financiers liés au climat qui concernent les marchés des produits dérivés, les marchés des produits de base sous-jacents, les entités enregistrées, les déclarants et les autres acteurs du marché concernés, ainsi que les produits développés pour faire face aux risques de marché liés au climat et pour faciliter la transition vers une économie carboneutre.
Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) ont publié le projet de Règlement 51-107 sur l’information liée aux questions climatiques, prévoyant des obligations d’information liée aux changements climatiques.[3] Ce règlement rend obligatoire l’information pour les grandes entités sous réglementation fédérale, mais prévoit une approche qui forcera de nombreuses entités à se conformer, ou à fournir des explications le cas contraire, compte tenu des contraintes en matière de données et autres. Les ACVM ont indiqué qu’elles chercheraient à harmoniser les informations obligatoires avec la SEC. Le Bureau du surintendant des institutions financières a également publié récemment des lignes directrices[4] stipulant que les institutions financières sous réglementation fédérale doivent identifier, collecter et utiliser des données fiables, actuelles et exactes concernant les risques de transition (y compris les données sur les émissions de GES) en rapport avec leurs activités commerciales, afin d’éclairer la gestion des risques et la prise de décision.
Les entreprises qui choisissent de se fixer volontairement des objectifs de carboneutralité et de divulguer volontairement leurs émissions et les risques climatiques doivent envisager de s’appuyer sur des normes et des cadres bien développés et largement utilisés, tels que les recommandations du Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature, l’initiative Science Based Targets, le Carbon Disclosure Project et les normes IFRS de divulgation sur le développement durable récemment publiées par l’International Sustainability Standards Board.
- Plans de transition crédibles vers la carboneutralité
Les déclarations et les plans en matière de développement durable et de carboneutralité représentent une source croissante de plaintes pour écoblanchiment et de litiges en matière de valeurs mobilières, qui touchent des entreprises dans de nombreux secteurs (en particulier le pétrole et le gaz, l’énergie, les transports et l’agriculture) et prennent effet par de multiples voies juridiques, ce qui laisse penser que ces plaintes sont susceptibles d’augmenter. Les conseils d’administration doivent s’assurer qu’ils ne font pas de déclarations matériellement fausses ou trompeuses concernant leurs objectifs de carboneutralité, leurs stratégies, leurs plans de transition et leurs actions plus générales liées au climat, telles que la manière dont ils réduisent leurs émissions de GES et l’ampleur de cette réduction. En outre, les conseils d’administration doivent sérieusement réfléchir à la manière dont ils calculent et déterminent leur profil d’émissions et les émissions tout au long de leur chaîne de valeur s’ils veulent élaborer et mettre en œuvre des plans crédibles d’entreprise carboneutre. Les conseils d’administration doivent examiner si l’établissement et la mise en œuvre de plans de transition alignés sur l’Accord de Paris, ou d’autres stratégies appropriées visant à limiter l’incidence d’une entreprise sur le climat, peuvent contribuer à atténuer les risques de plaintes pour écoblanchiment et les impacts potentiels liés au climat sur les demandeurs potentiels.
- Éviter l’écoblanchiment
Les gouvernements du monde entier se concentrent sur les déclarations des entreprises en matière de climat et de carboneutralité, ainsi que sur les allégations croissantes d’écoblanchiment formulées par les défenseurs du climat et les actionnaires. Les autorités de régulation des valeurs mobilières et les agences de la concurrence jouent également un rôle important dans les plaintes des entreprises relatives à la carboneutralité, car elles cherchent à protéger les consommateurs et les investisseurs. L’écoblanchiment peut être compris comme « l’utilisation d’affirmations non fondées ou trompeuses sur les performances environnementales ou les meilleures pratiques, ou la divulgation sélective de celles-ci, à des fins commerciales ou politiques ».[5] Alors que de plus en plus d’entreprises rendent publiques leurs actions et leurs politiques visant à atteindre un état de carboneutralité dans l’ensemble de leurs chaînes de valeur, tout décalage réel ou perçu entre ce qu’une entreprise dit et ce qu’elle fait peut donner lieu à des allégations d’écoblanchiment ou d’écoblanchiment climatique.
L’Union européenne joue un rôle de premier plan dans la lutte contre les risques d’écoblanchiment, avec la présentation récente de la proposition de directive sur les allégations écologiques[6] qui, entre autres, établira des règles européennes détaillées sur la justification des allégations écologiques volontaires et exigera des états membres de l’UE qu’ils imposent des sanctions « dissuasives » aux organisations qui font de fausses allégations environnementales. On s’attend à ce que les plaintes pour écoblanchiment continuent d’augmenter à mesure que de plus en plus d’entreprises deviennent carboneutres et que les plaideurs stratégiques exigent des actions significatives et crédibles pour soutenir les stratégies carboneutres.
Quels sont les risques?
- Réduction de la responsabilité réglementaire
Les entreprises sont susceptibles d’être confrontées à des risques réglementaires accrus liés à leurs divulgations relatives au climat. La SEC a mis en place un groupe de travail sur le climat et les questions ESG responsable d’examiner les inexactitudes matérielles dans la divulgation des risques climatiques. De même, la Financial Conduct Authority (FCA) du Royaume-Uni a présenté aux présidents des gestionnaires de fonds agréés son point de vue sur la nécessité pour les entreprises et les conseils d’administration de communiquer clairement les informations et d’éviter les affirmations trompeuses.[7] Toutefois, les autorités canadiennes de réglementation des valeurs mobilières n’ont pas encore mis en œuvre les dispositions relatives à la divulgation des risques climatiques, même si les ACVM ont indiqué que ceux-ci sont importants et doivent être divulgués dans les états financiers.[8]
Les conseils d’administration au Canada doivent s’attendre à ce que les autorités canadiennes de réglementation des valeurs mobilières suivent l’exemple de la SEC et d’autres autorités de réglementation, et être conscients que le fait de ne pas divulguer les risques climatiques importants dans leurs états financiers et de ne pas indiquer comment ces risques sont et seront gérés pourrait exposer les entreprises à des mesures administratives et réglementaires. Les conseils d’administration doivent également être attentifs au fait que la valeur des investissements peut être diminuée si une entreprise ne parvient pas à se défendre contre une action en justice, ce qui peut avoir d’autres répercussions sur le portefeuille lorsque des autorisations réglementaires sont refusées parce que les effets du climat ne sont pas suffisamment pris en compte et traités.
- Litiges en matière de droit des valeurs mobilières
Les conseils d’administration doivent être conscients et préparés au risque que les investisseurs puissent utiliser les preuves étayant les sanctions réglementaires pour réclamer des dommages-intérêts pour cause de fausse déclaration. Par exemple, une récente action collective intentée par des actionnaires contre le groupe Oatly et son conseil d’administration allègue que l’entreprise a fait des déclarations matériellement fausses et trompeuses et qu’elle a également omis de divulguer des faits négatifs importants concernant Oatly dans ses documents, y compris les mesures financières de l’entreprise et les affirmations exagérées concernant la durabilité de ses pratiques et de ses produits.[9]Les entreprises et les conseils œuvrant dans des industries à forte production de carbone et dans des secteurs de l’économie qui refusent d’apporter des changements sont confrontés à des risques systémiques si les plaideurs climatiques obtiennent gain de cause contre des entreprises de ces industries et de ces secteurs. Les déclarations générales sur la carboneutralité et le climat faites par les entreprises de ces secteurs et industries peuvent faire l’objet de litiges en matière de valeurs mobilières, et les plaintes fondées sur le droit des valeurs mobilières qui aboutissent entraînent une augmentation importante des risques de responsabilité pour d’autres industries et entreprises connexes. En outre, les compagnies d’assurance peuvent demander une aide financière aux assureurs, ce qui a des effets en cascade sur la tarification des assurances, la couverture et l’assurabilité de secteurs entiers de l’économie.
- Compréhension de l’obligation fiduciaire
Les conseils d’administration risquent de plus en plus de faire l’objet de plaintes de la part d’actionnaires pour manquement présumé à leur obligation fiduciaire d’atténuer et de divulguer les risques climatiques et d’identifier les occasions liées au climat, en particulier lorsqu’une entreprise publie des informations trompeuses. Les administrateurs pourraient également voir leur responsabilité personnelle engagée pour divulgation d’informations trompeuses ou pour manquement à leurs obligations en ce qui concerne la transition nécessaire vers la carboneutralité, et devraient donc être conscients que les actions et les engagements en matière de divergence sont susceptibles de rendre les réclamations plus probables.
Pour illustrer l’augmentation des risques, l’organisation de droit de l’environnement ClientEarth a déposé en début d’année une action dérivée, intentée par des actionnaires au nom de l’entreprise, demandant l’autorisation d’intenter une action contre le conseil d’administration de Shell, alléguant des manquements aux obligations légales en vertu de la loi britannique sur les sociétés de 2006. Il a notamment été avancé que le conseil d’administration avait mal géré les risques climatiques importants et prévisibles, et n’avait pas adopté et mis en œuvre une stratégie de transition énergétique qui s’aligne sur l’Accord de Paris. Bien que l’action en justice de ClientEarth ait été récemment rejetée par la Haute Cour du Royaume-Uni en vertu du « principe bien établi selon lequel il appartient aux administrateurs eux-mêmes de déterminer (en agissant de bonne foi) » comment gérer et conduire les affaires d’une entreprise, il est probable que les actions dérivées des actionnaires activistes et climatiques continueront à tester l’étendue des obligations fiduciaires d’un conseil d’administration lorsqu’il s’agit de gérer les risques climatiques et de prendre des mesures significatives pour atteindre les objectifs de carboneutralité. Toutefois, comme le montre cette affaire, aucune plainte spécifique au climat n’a encore été déposée avec succès contre des conseils d’administration. Cela devrait changer, car de plus en plus de groupes d’actionnaires déposent des plaintes pour inaction ou action inadéquate en violation des obligations fiduciaires d’un conseil d’administration envers la société et les parties prenantes de manière plus générale.
- Modalités commerciales
Les conseils d’administration doivent être conscients que les contrats commerciaux peuvent donner lieu à des litiges liés au climat. Les entreprises opérant dans des secteurs particulièrement susceptibles d’être exposés aux effets des changements climatiques (tels que l’énergie, l’agriculture et les industries dotées d’infrastructures importantes) doivent être conscientes du fait que leurs modèles d’entreprise pourraient être perturbés lorsque le monde deviendra carboneutre d’ici 2050 et que les gouvernements adopteront des politiques plus strictes d’adaptation au climat et d’atténuation des effets du changement climatique. En outre, les conseils d’administration devraient s’efforcer d’assurer le respect des règles de sécurité tenant compte du climat afin de minimiser le risque de litige. En outre, les conseils d’administration devraient s’efforcer d’assurer le respect des règles de sécurité tenant compte du climat afin de minimiser le risque de litige.
- Atténuation des risques de litiges civils
Les entreprises et les gouvernements sont confrontés à des actions en justice avant même la matérialisation des risques climatiques physiques. Les activités liées au climat, les jeunes plaideurs et les groupes d’actionnaires continuent de tenter de tenir les entreprises et les gouvernements responsables des dommages subis en raison des effets du changement climatique et des violations des droits de la personne. Les entreprises qui ne disposent pas de plans crédibles de réduction des émissions et de transition vers la carboneutralité sont susceptibles d’être confrontées à des risques de litiges climatiques attributifs, les plaideurs cherchant à tenir les entreprises pour responsables des impacts climatiques directement attribuables à leurs émissions historiques et contemporaines. L’élaboration de stratégies crédibles de carboneutralité et potentiellement négatives en termes d’émissions de carbone pour minimiser les plaintes est susceptible d’être essentielle pour atténuer ces risques.
Meilleures pratiques
- Assurance responsabilité professionnelle
Les conseils d’administration et leurs assureurs doivent envisager des demandes d’indemnisation importantes pour couvrir les dommages-intérêts accordés ou les règlements concernant les erreurs et omissions professionnelles ou les manquements couverts par les polices d’assurance des administrateurs et des dirigeants. Il existe également un risque de litige lié à des désaccords sur l’étendue des obligations d’indemnisation. Les administrateurs et les professionnels, tels que les comptables et les avocats, doivent s’assurer qu’ils recherchent ou fournissent des conseils sur les risques climatiques et les informations à fournir. Le fait de ne pas demander et de ne pas fournir des conseils appropriés peut entraîner des dommages-intérêts importants, ce qui pourrait perturber le marché de l’assurance des administrateurs et des dirigeants ainsi que des erreurs et omissions et créer des problèmes de trésorerie à court terme et des risques de tarification à plus long terme. Il peut également y avoir un risque de litige lié à l’étendue de la couverture des polices d’assurance responsabilité civile et professionnelle en ce qui concerne les dommages liés au climat.
- Soyez proactif!
Les occasions et les risques liés au climat obligent les conseils d’administration à être proactifs. Les conseils d’administration peuvent prendre en compte les recommandations et les éléments examinés ci-dessus afin de s’assurer qu’ils ont conscience des risques climatiques et qu’ils sont en mesure d’y répondre de manière proactive. Ils peuvent également (i) évaluer de manière proactive et dès que possible les risques de litiges dans les portefeuilles de prêts et de polices, les portefeuilles d’investissement et les opérations; (ii) intégrer la gestion des risques climatiques dans la gestion des risques de leurs activités de base; (iii) examiner les vulnérabilités liées au climat dans l’ensemble des investissements; (iv) orienter les ressources vers des stratégies et des plans d’atténuation et d’adaptation du climat; (v) élaborer et adopter des objectifs crédibles de carboneutralité et des objectifs intermédiaires de réduction des émissions, ainsi que des plans de transition; et (vi) s’assurer que les parties prenantes importantes ont été identifiées et développer des mécanismes significatifs d’engagement des parties prenantes afin de faire entendre leur voix dans la salle du conseil d’administration.
[1] Bureau d’assurance du Canada, 2023 – « Les intempéries en 2022 ont entraîné 3,1 milliards de dollars de dommages assurés, ce qui en fait la 3e pire année pour les dommages assurés de l’histoire du Canada », 18 janvier 2023. Adresse : https://fr.ibc.ca/news-insights/news/severe-weather-in-2022-caused-3-1-billion-in-insured-damage-making-it-the-3rd-worst-year-for-insured-damage-in-canadian-history.
[2] SEC. « The Enhancement and Standardization of Climate-Related Disclosures for Investors », 11 avril 2022, 87 FR 21334. Adresse : https://www.federalregister.gov/documents/2022/04/11/2022-06342/the-enhancement-and-standardization-of-climate-related-disclosures-for-investors.
[3] ACVM. « Consultation Climate-related Disclosure Update and CSA Notice and Request for Comment Proposed National Instrument 51-107 Disclosure of Climate-related Matters », 18 octobre 2021. Adresse : https://www.osc.ca/sites/default/files/2021-10/csa_20211018_51-107_disclosure-update.pdf.
[4] BSIF. Ligne directrice B-15 – Gestion des risques climatiques, 7 mars 2023. Adresse : https://www.osfi-bsif.gc.ca/Fra/Docs/b15-dft.pdf.
[5] BENJAMIN, Lisa et al. « Climate-Washing Litigation: Legal Liability for Misleading Climate Communications », LSE Grantham Research Institute, Policy Briefing, The Climate Social Science Network, janvier 2022.
[6] Commission européenne. « Directive du Parlement européen et du Conseil relative à la justification et à la communication des allégations environnementales explicites », COM(2023) 166, 2023/0085, 22 mars 2023.
[7] FCA. « Authorised ESG & Sustainable Investment Funds: improving quality and clarity », 19 juillet 2021
[8] ACVM. CSA Staff Notice 51-358 Reporting of Climate Change-Related Risks, (2019).
[9] Bentley v Oatly, US SDNY, Case 1:21-cv-06485.