11 mai 2023

Transition vers la carboneutralité : Leçons tirées des conseils d’administration d’entreprises de l’Ouest canadien

Par Lisa Oldridge, CFA, IAS.A, administratrice, Administration aéroportuaire de Calgary, 360 Energy Liability Management ltée; directrice, Fulcrum Advisors

Les entreprises des secteurs dont les émissions sont les plus difficiles à réduire – qui produisent directement des émissions ou vendent des produits émettant d’importantes quantités de gaz à effet de serre (GES) – doivent jouer un rôle essentiel dans le parcours vers la carboneutralité pour que l’économie mondiale puisse réduire les émissions à l’échelle requise pour maintenir le réchauffement de la planète à 1,5 °C.

McKinsey estime que la transition vers la carboneutralité exigera un investissement annuel supplémentaire de 3 500 milliards de dollars au cours des 30 prochaines années.

Bien que l’on puisse difficilement exagérer l’ampleur du défi, nous pouvons apprendre beaucoup des administrateurs d’entreprises à forte intensité carbonique ayant pris des engagements significatifs en faveur de la décarbonisation. Ces administrateurs sont aux premières loges de la plus grande transformation économique jamais réalisée et doivent faire face à la complexité de la transition d’une entreprise à forte intensité carbonique vers la carboneutralité tout en gérant les risques et les occasions climatiques.

Au printemps 2022, les sections régionales de l’ouest de l’IAS, menées par la section régionale de l’île de Vancouver, ont réuni des administrateurs d’entreprises notables basées en Colombie-Britannique et en Alberta afin qu’ils puissent parler de leur expertise, des leçons qu’ils ont apprises et de leurs suggestions pratiques avec les administrateurs d’organisations qui en sont à des stades plus précoces du parcours vers la carboneutralité.

Barbara Zvan, présidente et chef de la direction du University Pension Plan, a animé le panel composé de Miranda Hubbs, administratrice, Nutrien, Investissements PSP et Imperial Oil, Pat Carlson, fondateur et chef de la direction de Kiwetinohk Energy, Jane Peverett, administratrice, Capital Power, Canadien Pacifique et Northwest Natural Holdings et ancienne administratrice de la CIBC, et Marcia Smith, administratrice d’Aritzia et ancienne première vice-présidente, Durabilité et affaires extérieures, Teck Resources. Ce panel représentait collectivement des entreprises des secteurs de l’agriculture, des services publics, de l’énergie, de l’exploitation minière et des services financiers.

Qu’elle soit motivée par des événements ou par une évolution graduelle, la carboneutralité fait désormais partie de la stratégie.

Les panélistes ont indiqué que lorsque la question du climat a été abordée pour la première fois, leurs conseils d’administration étaient principalement préoccupés par les coûts et les risques physiques, financiers et réglementaires. Aujourd’hui, leurs conseils d’administration cherchent à comprendre comment les engagements en matière de carboneutralité influencent l’accès de l’enteprise au capital, le coût du capital, l’affectation du capital, y compris les investissements dans l’innovation, la demande de produits, la capacité à attirer des talents et la mobilisation des actionnaires.

Marcia Smith a expliqué comment Teck Resources a commencé à définir la durabilité et à prendre en compte les GES il y a plus d’une décennie, après que la Colombie-Britannique a mis en place la première taxe carbone généralisée d’Amérique du Nord en 2008 (l’Alberta a mis en place un système de tarification basé sur la production pour les grands émetteurs en 2007). Initialement axée sur les implications financières de la taxation du carbone et d’autres questions réglementaires, la stratégie de Teck en matière de durabilité a évolué, et la décarbonisation en fait désormais partie intégrante. Le conseil d’administration et la haute direction discutent à la fois des risques et des occasions du parcours vers la carboneutralité. Par exemple, non seulement Teck a-t-elle établi des stratégies pour réduire de manière considérable ses émissions de portée 1, 2 et 3, mais elle a aussi pris en compte son incidence positive sur la décarbonisation étant donné qu’elle extrait des matières premières nécessaires à l’électrification.

Kiwetinohk Energy a eu un parcours vers la carboneutralité particulièrement réfléchi pour une entreprise du secteur de l’énergie, car son objectif était de faire de la transition énergétique une activité commerciale à part entière. Pat Carlson, fondateur et chef de la direction de Kiwetinohk, a expliqué que la stratégie de l’entreprise consiste à produire de l’énergie à partir de la lumière du soleil, du vent et du gaz naturel avec capture de carbone et, à terme (en fonction de l’infrastructure disponible), de l’hydrogène vert ou bleu. En cours de route, on calibre la production de gaz de façon à ce qu’elle corresponde à la consommation de gaz de l’entreprise afin d’éviter les émissions de portée 3.

Quelle que soit la voie que l’on suit pour la décarbonisation, il ne suffit pas de prendre des engagements climatiques en faveur de la carboneutralité en réponse aux pressions exercées par les actionnaires, les organismes de réglementation et les autres parties prenantes; les administrateurs doivent veiller à ce que la carboneutralité soit également prise en compte dans les discussions sur la stratégie. Comme l’a déclaré Jane Peverett, les séances sur l’action climatique ne peuvent pas être dissociées des séances sur la stratégie.

La pression en vue de la prise de mesures en faveur de la carboneutralité provient des investisseurs.

Mme Peverett a observé une nette évolution au cours des dernières années, le climat étant passé d’une pression sociale (un sujet d’intérêt pour les parties prenantes externes) à un élément clé pour les actionnaires.

En effet, la plupart des conseils d’administration du panel ont rencontré des investisseurs lors de réunions individuelles pour discuter du climat et d’autres questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). D’autres ont tenu des événements annuels et ont rencontré des groupes tels que Climate Action 100. Miranda Hubbs a décrit la valeur des « visites d’écoute ESG » en été, lorsque les choses sont plus calmes. Ces visites ont permis d’organiser des réunions ciblées avec des investisseurs pour voir où ils en étaient en matière de transition climatique ou d’autres stratégies ESG.

Chaque membre du panel a trouvé ces événements utiles et constructifs, car ils ont permis d’obtenir des investisseurs de la rétroaction précise sur les enjeux climatiques et d’apprendre comment le climat était pris en compte dans les thèses d’investissement. Ils ont aussi permis de montrer à quel point les enjeux climatiques sont pris au sérieux au niveau du conseil d’administration.

L’importance de la formation des administrateurs en matière de climat

Un manque de connaissances sur le climat peut entraver la capacité d’un conseil d’administration à voir au-delà des risques réglementaires et financiers d’un engagement envers la carboneutralité.

Citant un sondage mené par Deloitte en 2021 dans le cadre duquel la moitié des répondants membres de comités de vérification issus de divers pays ont déclaré qu’ils ne se sentaient pas suffisamment informés sur les enjeux climatiques et plus de 60 % ont déclaré qu’ils n’en discutaient pas régulièrement, Mme Hubbs a souligné à quel point il est important de commencer par les notions de base. Il est essentiel de s’assurer que le conseil d’administration et la direction s’entendent sur les définitions, la taxonomie générale en matière de climat et les enjeux, y compris la manière dont le climat informe le rôle des administrateurs. Mme Hubbs a indiqué que chacun de ses conseils d’administration s’est efforcé d’établir une compréhension commune de ce que le terme « durabilité » signifie, et a souligné à quel point une telle base est précieuse. Outre l’autoapprentissage et les séances de formation avec des experts en matière d’ESG, le cours sur les principes fondamentaux de la gouvernance climatique de l’IAS a été recommandé.

Une fois que le conseil d’administration et la direction s’entendent quant aux définitions et aux questions climatiques plus générales, le conseil d’administration est en mesure d’examiner les risques et les occasions climatiques importants de l’entreprise, actif par actif. À mesure que le conseil d’administration et la direction se familiarisent avec les risques et les occasions liés au climat, il peut être judicieux de faire appel à des experts externes pour de la formation plus précise sur les tendances et les technologies émergentes qui soutiennent les stratégies de décarbonisation.

Les engagements en matière de carboneutralité devraient s’inscrire dans le cadre du rendement global de l’entreprise.

Plutôt que de fixer des engagements réflexes axés sur le risque et la conformité, il faut fonder les objectifs en matière de carboneutralité sur la stratégie de l’entreprise et faire en sorte qu’ils cadrent avec cette stratégie. Ce n’est qu’ainsi que l’on pourra cerner des occasions de décarbonisation et en tirer parti.

Les membres du panel ont affirmé que le rôle des administrateurs est d’encourager la direction à voir plus grand en ce qui concerne la transition vers la carboneutralité. Pour illustrer ce point de vue, Mme Hubbs a décrit la façon dont Nutrien a commencé à étudier les réductions d’émissions dans la logistique maritime, un secteur apparemment sans rapport, en raison de sa volonté d’aller au-delà du statu quo. Bien que Nutrien soit une entreprise agricole, son conseil d’administration et sa direction ont vu un cas d’utilisation potentielle de l’ammoniac, un engrais, comme vecteur d’hydrogène et d’énergie. À ce titre, l’ammoniac propre (pour que l’ammoniac soit considéré comme propre, plus de 90 % des émissions de GES doivent être réduites) pourrait contribuer à la décarbonisation du réseau logistique pour les carburants maritimes, ce qui entraînerait des investissements potentiels dans les navires-citernes ainsi que dans d’autres domaines d’investissement et d’innovation.

Fixer des objectifs « inconfortablement réalisables »

La fixation d’objectifs de carboneutralité est devenue plus urgente pour les entreprises qui exercent des activités dans l’ouest du Canada, en particulier en Colombie-Britannique. Comme l’a expliqué M. Carlson, les répercussions récentes et désastreuses des incendies, des inondations et des vagues de chaleur ont sonné l’alarme pour tous ceux et celles qui tardaient à agir. Ces événements ont incité de nombreux conseils d’administration à se fixer des objectifs audacieux qui sont « inconfortablement réalisables ».

Mme Hubbs a suggéré que pour vérifier si les objectifs en matière d’intrants, d’extrants, de processus ou de marchés sont suffisamment ambitieux, les administrateurs peuvent demander à la direction ce qui suit :

« Pour réaliser cet objectif :

  • avons-nous besoin de nouvelles compétences au sein de l’entreprise? »
  • devrions-nous modifier l’organisation de notre direction? »
  • avons-nous besoin de nouvelles relations? »
  • devons-nous adapter certains processus? »

Si la réponse à toutes ces questions est « non », c’est-à-dire que le statu quo est acceptable, les objectifs ne sont probablement pas assez ambitieux.

Appel à l’action pour les conseils d’administration

Les risques liés à l’absence de transition vont bien au-delà de la réglementation et de la conformité. Le fait de ne pas prendre de mesures significatives a des répercussions sur le recrutement des talents, l’accès aux capitaux, la chaîne d’approvisionnement et les clients. Voici ce dont les administrateurs devraient tenir compte :

  • La transition vers la carboneutralité est une question qui relève de la surveillance de la stratégie par le conseil d’administration et de son évaluation du rendement : intégrez-la dans les discussions à ces sujets.
  • Informez-vous. Les conseils d’administration sensibilisés aux enjeux climatiques, qui comprennent l’importance du carbone de manière générale et au niveau des actifs ou des unités d’affaires, sont mieux outillés pour aider la direction à fixer des objectifs annuels ambitieux et appropriés sur la voie de la carboneutralité, qui peuvent également mettre en évidence des occasions.
  • La pression en vue de la transition vers la carboneutralité provient des investisseurs. Assurez une mobilisation proactive des actionnaires en ce qui a trait aux enjeux climatiques – il s’agit d’une occasion précieuse d’écouter, d’apprendre et de montrer comment la carboneutralité s’inscrit dans le cadre du rendement global de l’entreprise.
  • Soyez « confortablement mal à l’aise » et faites preuve d’audace lorsque vous fixez des objectifs d’amélioration ou dans les cas où il n’y a pas d’objectif en place. Encouragez la direction à envisager la possibilité de répercussions plus larges sur l’écosystème, au-delà des secteurs d’activité évidents.

 

 

 

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