1 janvier 1
Un moment décisif pour la transition énergétique du Canada
Voilà un certain temps déjà que le dialogue entourant la transition énergétique au Canada s’est polarisé, et que les vrais défis liés à la transformation rapide des moyens de production et de consommation de l’énergie se voient souvent exclus de la discussion. La concurrence mondiale pour l’obtention de fonds destinés à la décarbonisation bat déjà son plein. La conjoncture propice à un dialogue plus productif entre Canadiens sur l’avenir de l’énergie tire à sa fin, et les enjeux sont de taille. Notre nation possède les ressources, l’expertise et la vision qui nous rendraient bénéficiaires de la transition mondiale vers une économie à faible émission de carbone, mais seulement si nous démontrons la volonté de « sortir de notre zone de confort ».
Le phénomène ne s’arrête pas à l’industrie pétrolière et gazière. Ce sont tous les Canadiens et tous les secteurs d’activité du pays qui doivent s’y pencher. Le pétrole a été l’un des principaux moteurs de l’économie canadienne et de l’augmentation de notre niveau de vie, et ce, durant presque toute l’histoire du pays. Ce n’est pas en souhaitant sa disparition que l’on arrivera à une solution, mais bien en le rendant plus durable. Il faut toutefois définir clairement ce que l’on entend par durabilité. Une décarbonisation qui compromettrait notre économie et notre accès à long terme à des sources sûres d’énergie abordable ne peut être qualifiée de durable. Si tel est le compromis, il n’en sera rien. La meilleure voie à suivre est, comme d’habitude, l’adoption d’une approche équilibrée.
Pour les sociétés canadiennes, leurs dirigeants et leurs conseils d’administration, cela présente bien des défis. Comment gérer les risques et les occasions liés à la transition énergétique dans un contexte politique tendu, et servir à la fois les intérêts des actionnaires, des employés et des parties prenantes? Ce questionnement essentiel est d’actualité pour toute entreprise au Canada. Pour le secteur canadien du pétrole et du gaz naturel, il revêt une importance capitale.
Chez Cenovus, nous y voyons une occasion en or pour les secteurs canadiens du pétrole et du gaz d’adopter un rôle central dans la transition vers une économie à plus faible émission de carbone au Canada et de contribuer à établir un accès sûr à une énergie responsable à l’échelle mondiale. Nous partageons les préoccupations des Canadiens vis-à-vis du changement climatique et nous nous sommes fixé des cibles ambitieuses pour réduire les émissions des activités de Cenovus d’ici 2035 et atteindre la carboneutralité d’ici 2050. De plus, nous sommes cofondateurs de l’Alliance Nouvelles voies, un partenariat entre les plus grandes entreprises de sables bitumineux du Canada ayant pour objectif la carboneutralité des activités d’exploitation d’ici 2050.
Nous savons que les énergies renouvelables auront un rôle de plus en plus marqué dans le parc énergétique mondial au cours des prochaines décennies. Il ne devrait pas en être autrement. En revanche, il n’est tout simplement pas raisonnable de croire à une disparition des énergies fossiles. La transformation intégrale du système énergétique mondial pour délaisser les combustibles fossiles se heurte à des difficultés considérables. Par exemple, les technologies de stockage actuelles sont insuffisantes pour que les énergies renouvelables puissent offrir seules la fiabilité et l’accessibilité financière auxquelles la société s’est accoutumée dans le contexte énergétique qui règne depuis plus d’un siècle. Ce sont des défis que l’on se doit de reconnaître et d’aborder dans le cadre d’un dialogue national honnête sur l’énergie.
À l’heure actuelle, malgré le développement continu des énergies renouvelables, la demande mondiale de pétrole reste plus forte que jamais. En effet, après une brève baisse dans la foulée de la pandémie de COVID-19, la demande de pétrole est à la hausse. À plus long terme, les perspectives en matière de pétrole émanant d’organisations crédibles divergent. Certaines analyses prédisent un déclin rapide, tandis que d’autres pensent que la demande augmentera pour ensuite plafonner au cours des prochaines décennies. Mais tous s’accordent à dire que la demande mondiale de pétrole perdurera sous une forme ou sous une autre jusqu’en 2050 et au-delà. Ce sera certainement le cas pour les carburants de transport « difficiles à remplacer » et d’autres produits dérivés du pétrole qui deviendront de plus en plus recherchés suivant l’émergence de classes moyennes dans les économies mondiales. Il s’agit notamment des plastiques pour les ordinateurs, les téléphones et les appareils médicaux, de l’asphalte routier, des composants en fibre de carbone pour les véhicules légers et les avions, pour n’en nommer que quelques-uns.
Nous avons la conviction que le Canada devrait être le fournisseur mondial de premier plan pour ce pétrole pour les décennies à venir. Nous représentons la quatrième plus grande ressource pétrolière au monde. Nous nous distinguons par nos pratiques de développement durable de classe mondiale en matière de biodiversité, d’utilisation des eaux, de droits de l’homme et de partenariats avec les peuples autochtones. Nos rapports environnementaux se font dans la transparence.
Et si les Canadiens se préoccupent des effets du changement climatique, ils comprennent aussi, comme en témoignent les sondages, l’importance du secteur pétrolier et gazier et les avantages qu’il apporte à l’économie canadienne. On parle de près de 120 000 emplois directs et plus de 400 000 emplois indirects, de 40 milliards de dollars en redevances et en impôts versés aux gouvernements l’année dernière et environ 50 milliards de dollars l’année précédente. Le pétrole est également le premier produit d’exportation du Canada. Sans ces revenus, le pays aurait enregistré d’énormes déficits commerciaux au cours des dernières années et la valeur du dollar en aurait presque certainement souffert.
En outre, nous savons que les Canadiens sont préoccupés par nos émissions de gaz à effet de serre et qu’ils veulent nous voir passer à l’action. Et c’est ce que nous faisons. L’année dernière, environ 28 % des émissions totales de GES du Canada provenaient de la production pétrolière et gazière. Ainsi, la décarbonisation de la production de notre industrie représente le principal levier d’action envisageable pour le Canada afin de progresser vers la cible d’atteinte de la carboneutralité en 2050.
Mais les investissements massifs à long terme nécessaires pour que le secteur réalise ses ambitions de réduction des émissions exigeront un soutien fiscal et réglementaire important de la part des gouvernements, comme on en voit dans d’autres pays producteurs de pétrole.
La lutte contre le changement climatique est un impératif. Il est tout aussi impératif de procéder de manière à préserver la force de notre économie et l’accès à long terme des Canadiens à un approvisionnement fiable en énergie abordable. Il faudra pour cela avoir des conversations honnêtes et réalistes sur ce qu’il faut pour assurer la prospérité du secteur énergétique canadien, y compris le rôle de l’investissement en capital et des actionnaires.
Les critiques qui accusent le secteur de donner la priorité aux actionnaires plutôt qu’à l’environnement ne font qu’induire le public en erreur. C’est une fausse dichotomie. Nos actionnaires aussi veulent que nous procédions à la décarbonisation, mais s’ils n’obtiennent pas de retour sur les sommes qu’ils investissent dans nos entreprises ou dans notre pays, ils se TOURNERONT vers quelqu’un d’autre. En ce moment même, des milliards de dollars de capitaux mondiaux attendent d’être investis dans des projets de décarbonisation tels que le captage et le stockage de carbone (CSC) ou, éventuellement, de petits réacteurs nucléaires modulaires. Si les subventions et les réglementations gouvernementales destinées à ce type de projet sont plus attrayantes et moins complexes aux États-Unis, comme c’est le cas pour le CSC, c’est là que seront dirigés les capitaux de décarbonisation. Ce n’est pas plus compliqué que ça. De la même façon, si l’industrie pétrolière et gazière du Canada doit assumer plus de coûts liés à la décarbonisation que ses concurrents mondiaux, elle ne pourra pas briller. Les flux de capitaux iront vers d’autres marchés, la production canadienne de pétrole et de gaz devra diminuer ou cesser, et le Canada en sortira perdant. En réalité, si l’industrie canadienne du pétrole et du gaz devait disparaître demain, cela n’aurait aucun effet sur les émissions mondiales. Nous ne ferions que transférer nos emplois et notre prospérité vers d’autres pays producteurs de pétrole qui se chargeraient de répondre à la demande sans se soucier de décarboniser leur production.
Notre défi actuel – et c’est celui des conseils de sociétés partout au pays – est de déterminer où se trouve le juste milieu. Comme toute entreprise, nous devons réinvestir dans nos activités. Nous engageons des frais généraux et des coûts d’exploitation. Nous avons souvent des dettes à rembourser issues des années où notre activité, très cyclique, n’a pas généré de revenus. Nous avons des salaires, des impôts et des redevances à payer. Nos actionnaires, qui comprennent des Canadiens ordinaires cherchant à se constituer une épargne-retraite, s’attendent à un retour sur leurs investissements. Les sommes disponibles sont limitées. Aucun conseil d’administration, aucune équipe de direction responsable ne s’engagera dans des projets de décarbonisation coûteux nécessitant des investissements massifs à long terme en l’absence d’un environnement politique cohérent et de co-investissements gouvernementaux conséquents venant soutenir la compétitivité des énergies fossiles canadiennes sur le plan international.
Aujourd’hui, le Canada fait fausse route. Notre secteur est confronté à une incertitude croissante en raison d’un enchevêtrement de projets de politiques qui nuira à la concurrence et la décarbonisation. Nous avons un plafond fédéral injustifié pour les émissions de l’industrie pétrolière et gazière, une norme sur les combustibles propres, une réglementation irréalisable sur l’électricité propre et des réglementations inefficaces sur le méthane. Tout cela s’empile, sans oublier les taxes provinciales existantes sur le carbone. Certaines des politiques fédérales proposées pourraient faire l’objet de contestations constitutionnelles s’étalant sur plusieurs années. Même les programmes gouvernementaux d’appui, comme les crédits d’impôt à l’investissement (CII) au niveau fédéral pour les projets de CSC, baignent dans une complexité et une incertitude telles que le secteur ne peut pas produire de modèle analytique fiable rendant compte du soutien réel alloué pour les projets de décarbonisation. Tout ce que nous savons aujourd’hui, c’est que cette conjecture ne permet pas à notre industrie d’investir dans la décarbonisation et de rester concurrentielle.
Les gouvernements veulent voir des projets se réaliser, et nous aussi. Individuellement et par l’intermédiaire de l’Alliance Nouvelles voies, les plus grands producteurs de sables bitumineux du Canada ont réalisé des progrès considérables dans la mise en œuvre de plans de décarbonisation. Notons la proposition d’un projet de CSC qui serait l’un des plus importants au monde. Nous serions bientôt prêts à commander des tuyaux et embaucher une main-d’œuvre pour le projet de CSC de l’Alliance Nouvelles voies. Mais nous avons besoin de garanties, et elles ne sont pas au rendez-vous.
Alors, que pouvons-nous faire? Nous avons tous le même souhait. Celui d’une économie robuste qui soutient l’emploi, une excellente qualité de vie pour les Canadiens et des progrès dans la lutte contre le changement climatique. Je vois un potentiel formidable pour le Canada et notre industrie : nous avons un rôle important et constructif à jouer dans la transition énergétique. Les sociétés comme Cenovus ont le potentiel de soutenir la sécurité et la prospérité du Canada pendant longtemps. Je sais. En tant que Canadiens, nous n’aimons pas « faire de vagues ». Mais il est temps d’élever la voix. Nous devons travailler ensemble – et avec les gouvernements – sur un plan plus réaliste pour atteindre nos objectifs communs.
Nous devons pouvoir discuter ouvertement de ce qu’il est techniquement possible de réaliser et sur quels horizons temporels. Il faut discuter sérieusement des coûts et des partenariats de financement requis pour y arriver. En tant que nation, nous devons accepter de regarder certaines réalités incommodantes et faire des compromis. Et nous en sommes capables. L’occasion qui se présente est trop importante pour l’économie et la sécurité énergétique du Canada. On ne peut plus la passer sous silence. Le temps presse. Nous pouvons jouir d’un secteur pétrolier et gazier fort qui continue à soutenir notre économie. Nous pouvons exporter nos technologies de décarbonisation vers d’autres territoires partout dans le monde. Le Canada a toutes les cartes en main pour connaître un succès retentissant. D’autres pays le font déjà. Alors, arrêtons de piétiner, allons de l’avant!
Alex Pourbaix
Président-directeur du conseil d’administration,
Cenovus Energy