11 septembre 2024
ADMINISTRATEUR À L’AFFICHE – KAREN CLARKE-WHISTLER
Administrateur à l’affiche est une fonctionnalité qui donne l’occasion à une administratrice ou à un administrateur de premier plan de discuter de perspectives et de développements importants pour les salles de conseil concernant la gouvernance climatique. Chapter Zero Canada s’est récemment entretenu avec Mme Karen Clarke-Whistler, directrice et présidente du comité de gouvernance d’Altius Renewable Royalties, et récemment retraitée du conseil d’administration d’Enerplus Corporation. Voici les faits saillants de cette discussion avec Mme Clarke-Whistler sur son travail en matière de gouvernance climatique, ses réflexions sur les tendances dans ce domaine, ainsi que les conseils qu’elle donne à ses collègues administrateurs.
Votre expérience en matière de conseil d’administration (et de gestion) est très large et couvre une variété de secteurs et d’industries (énergie et énergies renouvelables, conseil, finance, etc.). Existe-t-il des points communs entre les approches des conseils d’administration en matière de gouvernance climatique?
D’une manière générale, j’ai constaté un énorme changement dans le niveau de sensibilisation, de compréhension et de curiosité des administrateurs à l’égard du changement climatique au cours des 5 ou 7 dernières années. Je me souviens que lorsque j’ai commencé à siéger dans un conseil d’administration, lors d’une des premières réunions, un administrateur m’avait dit : « Pour votre information, je suis un négationniste » et je lui avais répondu : « Vous êtes libre d’avoir votre propre position, mais pour votre information, vos investisseurs croient que le changement climatique est en train de se produire, donc en tant qu’administrateur, vous devriez en être conscient. » Pour l’anecdote, cet homme dirige maintenant le comité ESG et climat de l’un de ses nombreux conseils d’administration! La compréhension et la prise de conscience se sont donc nettement améliorées.
Je travaille principalement avec des conseils d’administration de sociétés ouvertes de taille moyenne, qui sont très différents de ceux des sociétés fermées et qui n’ont souvent pas les grandes équipes environnementales dont disposent les sociétés ouvertes de plus grande envergure. La plupart des conseils d’administration que je connais ont pris des mesures pour comprendre l’impact du changement climatique sur leur entreprise, en commençant par les risques, mais en examinant aussi les possibilités qui pourraient se présenter. Il s’agit bien sûr d’une approche gagnant-gagnant si l’on peut être progressiste en matière de changement climatique et que cela permet également d’augmenter les revenus ou les parts de marché, d’attirer des talents, etc. Les administrateurs aiment poser des questions, et il y a un million de questions que l’on peut poser sur le changement climatique. Les exigences réglementaires et les normes ont donc contribué à inciter les administrateurs à se demander comment se préparer à ces exigences et quelles en seraient les conséquences pour eux.
Au fur et à mesure que les entreprises acquièrent une meilleure compréhension de leurs facteurs climatiques et ESG, elles se sentent plus en confiance pour mettre en place leurs propres stratégies dans ce domaine. Ainsi, lorsqu’un investisseur leur présente une liste en quinze points, les dirigeants et les administrateurs peuvent répondre : « Nous savons que vous avez posé des questions sur ces quinze points, mais ce sont ces trois domaines-là qui sont vraiment importants pour nous. ». Cela leur permet d’argumenter et de s’engager de manière plus efficace.
Pouvez-vous nous donner un exemple précis d’une entreprise dont vous êtes membre du conseil d’administration ou avec laquelle vous avez travaillé, et qui aborde le changement climatique de manière exemplaire?
J’ai travaillé avec une société de redevances qui, comme vous le savez, tire ses revenus en investissant dans un portefeuille d’entreprises et en générant des redevances en contrepartie du capital investi au départ. De plus, les sociétés de redevances recherchent généralement des sources de revenus durables et fiables. La société à laquelle je pense était à l’origine focalisée sur les redevances de charbon. Il y a environ cinq ans, elle a eu la clairvoyance de reconnaître qu’elle allait devoir diversifier ses revenus, ce qu’elle a fait en créant des flux de redevances dans des domaines qui soutiennent la transition énergétique, notamment les produits de base qui soutiennent l’électrification des transports et le stockage des batteries, ainsi qu’une agriculture plus verte. C’est une entreprise qui a pris conscience de l’évolution de la situation et qui a réfléchi à la manière dont elle pouvait tirer parti de son expertise commerciale. J’ai trouvé cela très innovant et très proactif.
L’environnement réglementaire et politique actuel semble présenter des développements qui simultanément favorisent ou restreignent les progrès d’une action climatique efficace au niveau des entreprises. Selon vous, quelles seront les principales tendances en matière de gouvernance climatique au Canada au cours de l’année à venir? Et quels conseils donneriez-vous aux administrateurs qui souhaitent continuer à avoir un impact sur le changement climatique?
Je pense que la plus grande tendance en matière de gouvernance climatique est de se préparer à répondre aux obligations croissantes en matière de réglementation et de divulgation. De nombreuses sociétés ouvertes sont déjà bien engagées dans cette voie. Mais on assiste à un « retour de bâton » contre l’ESG en général, et en partie contre les objectifs climatiques que beaucoup considèrent comme ambitieux. La polarisation politique au niveau national, en particulier ici en Amérique du Nord, alimente ce phénomène. Mon conseil correspond à ce qui est déjà une réalité pour de nombreuses entreprises : les administrateurs devraient chercher plus attentivement à équilibrer pragmatisme et aspirations lorsqu’il s’agit du climat. C’est facile, principalement car la mission des administrateurs consiste à poser des questions et à se documenter. Ils poussent bien souvent une entreprise de manière ambitieuse avant de comprendre quels sont ses principaux risques et les possibilités qui s’offrent à elle, quelle est leur importance par rapport à d’autres risques et possibilités, et comment l’entreprise devrait se positionner sur le marché en fonction du climat.
Les membres de la direction et les administrateurs traitent certains des éléments les plus progressistes du climat avec plus d’attention et ne se contentent pas de se précipiter, par exemple, pour prendre un engagement de carboneutralité. De même, nous devons réfléchir avant de nous contenter de viser les émissions de portée 3. Nous voulons comprendre ce qu’elles représentent. Par exemple, lorsque nous parlons des émissions de portée 3 pour le pétrole et le gaz, nous regardons en aval, mais pour les énergies renouvelables, nous regardons en amont, où la fabrication est dominée par la Chine.
Personnellement, je pense qu’il est important de déterminer les éléments fondamentaux de la position d’une entreprise en matière de changement climatique et de fixer des objectifs réfléchis, en particulier face à une législation telle que le Projet de loi C-59, qui a une application très large. Bien que cela puisse ralentir l’élaboration d’objectifs ambitieux, je pense qu’ils reposeront sur des bases plus solides.
Je crois que nous devons faire face à la réalité de l’offre et de la demande d’énergie. L’énergie est à la base de tous les segments de l’économie, et croire que la demande en combustibles fossiles va disparaître d’ici peu est un vœu pieux. Je préfère parler de « diversification énergétique » plutôt que de « transition énergétique ». La réalité mondiale est telle que nous avons besoin de toutes les formes d’énergie et que nous devrions nous concentrer sur l’utilisation efficace de l’énergie et la réduction des émissions plutôt que sur l’élimination de l’énergie. C’est un sujet qui me passionne!
biographie complète
Mme Clarke-Whistler a occupé le poste de responsable de l’environnement au sein du Groupe Banque TD (2008-2018), où elle était chargée d’élaborer et de mettre en œuvre la stratégie environnementale de la banque qui comprenait une diligence raisonnable en matière de financement, l’élaboration d’une stratégie de carboneutralité et la définition de critères pour l’engagement initial de 100 milliards de dollars de la Banque TD à soutenir la transition vers une économie à plus faible émission de carbone.
Mme Clarke-Whistler siège actuellement au conseil d’administration d’Altius Renewable Royalties (TSX : ARR), dont elle préside le comité de gouvernance d’entreprise. Jusqu’au début de cette année, elle siégeait également au conseil d’administration d’Enerplus Corporation (TSX : NYSE : ERF). Elle siège actuellement au conseil consultatif d’ESG d’Exportation et développement Canada. Elle a également été directrice de l’organisation à but non lucratif Plug ’N Drive (2017-2023), dont l’objectif est de faciliter l’utilisation de véhicules électriques.
Mme Clarke-Whistler a été directrice chez ESG Global Advisors (2019-2023), une société spécialisée dans la création de valeur pour les entreprises grâce à des stratégies ESG et climatiques solides, avec une clientèle composée principalement de sociétés fermées et ouvertes de taille moyenne.
Elle a été conseillère auprès du comité ESG de l’Alberta et d’Energy Futures Lab. C’est une ancienne conseillère de la Commission de l’écofiscalité du Canada et du Commissaire à l’environnement du Canada, et elle a siégé au Conseil consultatif du secteur privé (CCSP) du CRSNG. Le début de carrière de Mme Clarke-Whistler en tant que consultante en environnement basée en Europe lui a permis de travailler avec un grand nombre d’entreprises internationales.
Mme Clarke-Whistler a été reconnue à deux reprises comme membre des 16 contributeurs exceptionnels à l’économie propre du Canada pour son leadership en matière de capitalisme propre (2014 et 2016). Elle est titulaire d’un baccalauréat en biologie de l’Université de Toronto et d’une maîtrise (avec mention) en sciences des ressources terrestres de l’Université de Guelph. Elle a obtenu le titre IAS.A en 2016.