12 novembre 2024
ADMINISTRATEUR À L’AFFICHE – PETER BOWIE
Administrateur à l’affiche est une fonctionnalité qui donne l’occasion à une administratrice ou à un administrateur de premier plan de discuter de perspectives et de développements importants pour les salles de conseil concernant la gouvernance climatique. Chapter Zero Canada s’est récemment entretenu avec M. Peter Bowie, administrateur au conseil d’administration du DMZ Venture Fund, et récemment retraité du conseil d’administration de Magna International. Voici les faits saillants de cette discussion avec M. Peter Bowie sur son travail en matière de gouvernance climatique, ses réflexions sur les tendances dans ce domaine, ainsi que les conseils qu’il donne à ses collègues administrateurs.
Vous avez siégé au conseil d’administration d’organisations représentant un large éventail d’industries et de secteurs. À titre d’exemple, vous êtes actuellement membre du conseil d’administration du DMZ Venture Fund et vous avez récemment siégé au conseil d’administration de Magna International dans l’industrie manufacturière. Comment les discussions sur les changements climatiques dans la salle du conseil ont-elles varié en fonction du secteur ou de l’industrie?
Oui, il existe des différences entre les organisations, tant au niveau de leur taille, de leur complexité que de leur capacité à attirer des personnes compétentes au sein des conseils d’administration. Par exemple, dans l’industrie manufacturière, les entreprises se concentrent vraiment sur la durabilité de leurs activités : leurs processus de fabrication, leurs chaînes d’approvisionnement, etc. Il est intéressant de noter que dans l’industrie automobile, un effort de collaboration entre Suppliers Partnership for the Environment, Manufacture 2030, et plusieurs des principaux constructeurs et fournisseurs automobiles, dont Ford, GM, Honda, Denso, Magna, bien sûr, et d’autres, mobilise près de 20 000 sites de fournisseurs dans le monde entier, et leur intention est de déterminer comment améliorer la cohérence dans la réduction des émissions de carbone dans les chaînes d’approvisionnement et la déclaration des émissions de portée 3 lorsque cela est nécessaire, et aussi de partager les meilleures pratiques. Il se peut que beaucoup ne le sachent pas, mais l’industrie automobile fait pas mal de progrès. Il est évident qu’elle peut encore s’améliorer, ce qu’elle s’efforce activement de faire.
Quant aux entreprises technologiques, elles se concentrent davantage sur la nature et l’impact de leurs produits. L’IA entraîne une demande croissante de centres de données qui seront de gros consommateurs d’électricité et d’eau. J’ai lu un peu sur un site en Arizona qui possède 100 000 semi-conducteurs de NVIDIA et a besoin de 50 mégawatts d’électricité et de 1,3 million de gallons d’eau par jour. Ce sont donc des défis qu’il faudra relever.
Les sociétés de services professionnels sont confrontées à un enjeu très différent quant à la façon dont elles peuvent faire face aux changements climatiques, et la plupart d’entre elles font beaucoup d’efforts dans ce domaine. C’est un élément important de leur stratégie ces jours-ci, ce qui est une bonne chose, d’une part parce qu’elles comprennent la nécessité de le faire et d’autre part parce qu’elles peuvent également fournir des services à leurs clients et qu’il est préférable d’avoir une certaine crédibilité si et quand vous le faites.
Il y a donc une grande différence entre les industries en ce qui concerne leur orientation.
En quoi la taille de l’organisation joue-t-elle un rôle?
Il faut examiner le contexte canadien et la composition des entreprises au pays, dont environ 97 % ou 98 % d’entre elles ont moins de 100 employés et 74 % en comptent moins de 10. L’accent est donc réellement mis sur les grandes entreprises, qui sont au nombre de 2 500 à 3 000. Mais il serait bon que nous trouvions un moyen d’aider les petites entreprises en leur fournissant des renseignements qu’elles pourraient utiliser pour mieux comprendre ce qu’elles doivent faire en matière de divulgation des informations financières liées au climat et de stratégie à cet égard.
Que pensez-vous du rythme des progrès généralement réalisés au Canada?
Je pense que la situation climatique s’aggrave au lieu de s’améliorer. Pensez aux incendies, aux sécheresses et aux tempêtes qui ont sévi au Canada ces dernières années. La situation ne s’améliore pas. Au cours de l’été, à Toronto, nous avons reçu en deux heures l’équivalent d’un mois de pluie. La meilleure phrase que j’ai lue est la suivante : « C’est la troisième "tempête du siècle" que nous avons essuyée au cours des huit dernières années ». Par ailleurs, je viens de lire que la fumée des feux incontrôlés augmente le risque de démence. Donc, si vous vivez en Colombie-Britannique ou dans le Nord du Manitoba, par exemple, vous courez un risque plus élevé. C’est très inquiétant. Je pense que ces types d’impacts sur la santé et la sécurité humaines vont inciter les organisations à agir rapidement pour vraiment commencer à lutter contre les changements climatiques.
De même, les organisations et les conseils d’administration doivent vraiment comprendre ce qui se passe au-delà de l’endroit où ils se trouvent. Je vais vous donner un exemple : Taïwan, comme vous le savez probablement, est un grand fournisseur de semi-conducteurs au niveau mondial, par l’intermédiaire de TSMC. Il y a quelques années, en 2021 je crois, une grave sécheresse a touché Taïwan. Les procédés de fabrication des semi-conducteurs nécessitent beaucoup d’eau.
TSMC a donc dû réduire le nombre de semi-conducteurs qu’elle produit parce qu’elle n’avait pas accès à des quantités d’eau suffisantes. Elle en utilisait environ 150 000 tonnes métriques par jour. Les entreprises qui n’ont pas pris du recul et réfléchi à ce qui se passerait si une sécheresse sévissait à Taïwan ont été prises au dépourvu. Certaines grandes entreprises comme Ford, Nissan et VW ont dû réduire leur production. Les pertes estimées étaient de 60 milliards de dollars. Toyota a anticipé le problème. Elle a eu la présence d’esprit de penser à l’avenir.
Alors, comment les conseils d’administration réfléchissent-ils à ces types de risques qu’ils courent? Parce que quelque part, il y a de la fumée, une sécheresse, un incendie ou un tremblement de terre. Je suis sceptique quant au fait que de nombreux conseils ont même déjà commencé à se pencher sur ces types de risques. Ils vont devoir adopter la planification de scénarios pour s’assurer que les évaluations sont exhaustives. Ils doivent aller en amont et en aval de leur propre chaîne d’approvisionnement et réfléchir d’une manière ou d’une autre aux fournisseurs de leurs fournisseurs.
Pour les PME, il sera difficile de financer ce type de travail. Je pense que leurs associations industrielles seraient de bons endroits où s’adresser pour obtenir des ressources et des renseignements qu’elles pourraient fournir à tous leurs membres, quelle que soit leur taille. Les plus grandes entreprises devraient également être très, très au fait de ce qui se passe.
Certains de nos membres nous ont fait part de leur difficulté à progresser dans le domaine du climat, en raison de ce qu’ils perçoivent comme une tension entre leur devoir de prévoyance et les pressions exercées sur l’organisation pour optimiser ses profits à court terme. Avez-vous des conseils à leur donner?
Je pense que du point de vue du leadership, c’est un choix tout simplement erroné. Nous avons parlé de la façon dont les événements qui se produisent ailleurs peuvent avoir une incidence sur ce que nous faisons, comme dans le cas des semi-conducteurs. Si vous vous concentrez uniquement sur l’optimisation de la rentabilité à court terme, vous passez à côté de cet enjeu, et cela représente un risque important. Il est absolument essentiel que les conseils d’administration établissent un équilibre entre le court, le moyen et le long terme. Assez étrangement, il y a un lien entre eux. Qui l’aurait cru? Je comprends qu’il y a des organisations et des personnes qui pensent qu’il faut faire un choix, mais elles commettent une grave erreur.
Selon vous, quelles seront les principales tendances en matière de gouvernance climatique au Canada au cours de l’année à venir? Et quels conseils donneriez-vous aux administrateurs qui souhaitent continuer à avoir un impact sur les changements climatiques?
Comme nous l’avons vu, il va falloir déployer beaucoup d’efforts pour anticiper les problèmes climatiques, y réagir, les atténuer et s’y adapter, problèmes qui n’existaient pas auparavant. Cela s’avérera essentiel. À cela s’ajoutent la demande et l’exigence d’une amélioration des productions de rapports et de divulgations. Beaucoup d’investisseurs veulent vraiment comprendre les risques auxquels ils sont confrontés du point de vue de l’investissement et la façon dont vous, en tant qu’organisation, élaborez votre plan de transition. Ils veulent savoir dans quelle mesure vous comprenez les risques.
J’ai lu récemment un article qui indiquait que, parmi les sociétés du classement Fortune 500 aux États-Unis et en Europe, seulement 2 % des conseils d’administration présentaient un niveau élevé d’expertise en matière de durabilité. Cela ne devrait pas être acceptable. De même, Spencer Stewart a analysé les grandes entreprises américaines et a constaté que seulement 20 % des membres des conseils d’administration avaient une certaine expérience en matière d’ESG, ce qui n’est pas particulièrement une bonne chose. Comment peut-on prendre des décisions éclairées sans être informé? Les conseils d’administration vont devoir commencer à augmenter leurs compétences en matière de climat.
Je pense également que tous les administrateurs doivent avoir des connaissances de base. Et ils peuvent les acquérir en suivant une formation, comme le cours Surveillance du changement climatique par le conseil de l’IAS, qui est suffisamment large et intensif pour ne pas avoir à retourner à l’université pendant six mois. Ils auront au moins une base pour se rendre compte d’une grande partie des défis qui doivent être relevés, et lorsque de nouveaux défis se présenteront, ils auront un certain contexte dans lequel les placer. Par ailleurs, le climat ne devrait pas être confié à un comité, p. ex. les émissions de portée 3 constituent un enjeu qui doit être examiné par le conseil d’administration. Les actions climatiques ont également des répercussions sur la réputation d’une entreprise et sur la façon dont elle est perçue par les parties prenantes, comme les employés. Un récent sondage de la Society for HR Management a révélé que 86 % des employés d’entreprises ayant des objectifs liés aux facteurs ESG ont déclaré être fiers d’y travailler. Ces objectifs rendaient leur travail plus intéressant et les incitaient à rester dans l’entreprise. Le recrutement et la rétention font donc partie du débat, en particulier dans les domaines où il est difficile de trouver et de retenir les talents.
À propos de Perter Bowie
Peter Bowie est actuellement administrateur indépendant au conseil d’administration du DMZ Venture Fund. Auparavant, il a été membre du conseil d’administration de Magna International (comité de vérification), de China Overseas Shipping Co. Ltd. (Cosco) (comité de développement stratégique et comité de gestion des risques), de Cederberg Capital S.E.N.C.R.L./s.r.l. (président), d’Uranium One (président du comité de rémunération et du comité de vérification), de Deloitte Chine (chef de la direction et associé principal), de l’Asian Corporate Governance Association, du comité de gouvernance et du conseil d’administration de Deloitte mondial et de Deloitte Canada (président).
Peter Bowie a également été membre du conseil de leadership en innovation de l’Alliance canadienne pour les technologies avancées (CATA), du comité consultatif du doyen de l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, président du comité consultatif de l’école de comptabilité de l’école de commerce de l’Université Tsinghua de Pékin et conseiller de la China Development Research Foundation.
Auparavant, il a été membre du conseil d’administration de l’Asian Corporate Governance Association Council et de la Princess Margaret Hospital Foundation, coprésident de la campagne nationale de l’Université d’Ottawa, président de la Société d’expansion économique d’Ottawa-Carleton, membre du conseil d’administration de l’Institut des comptables agréés de l’Ontario, ainsi que président de la région de la capitale nationale.
Peter Bowie investit dans des entreprises en démarrage et leur prodigue des conseils. Il a été chef de la direction et associé principal de Deloitte Chine et président de Deloitte Canada. Ses autres expériences professionnelles comprennent Platform Computing (logiciels d’entreprise) de 2000 à 2003, où il était directeur général; Microsystems International Limited (conception et fabrication de semi-conducteurs); Integrated Lighting Canada Limited (fabrication) et Nortel (fabrication dans le secteur des télécommunications).
Il a notamment reçu un doctorat honoris causa de l’Université d’Ottawa et est titulaire des titres de Fellow de l’Institut des comptables agréés, de CPA (expert-comptable diplômé) de l’Institut des comptables agréés de l’Ontario, ainsi que de Fellow de l’Australian Institute of Corporate Directors. Peter Bowie possède également le titre de CCB.D des Climate Competent Boards et a été choisi comme l’un des 10 meilleurs talents financiers en Chine (2008).