12 février 2025
Administrateur À L’affiche – Jennifer Roedding
Administrateur à l’affiche est une rubrique régulière qui donne l’occasion à une administratrice ou à un administrateur de premier plan de discuter de perspectives et de développements importants pour les salles de conseil concernant la gouvernance climatique. Chapter Zero Canada s’est récemment entretenu avec Mme Jennifer Roedding, administratrice et cadre en résidence du centre d’intégration de la durabilité de l’Université de Waterloo. Voici les faits saillants de cette discussion avec Mme Roedding sur ses réflexions sur la progression du Canada envers la durabilité, plus particulièrement en ce qui concerne le climat, sur ce que font les organisations pour intégrer la durabilité dans leurs activités, ses réflexions sur les tendances dans ce domaine, ainsi que les conseils qu’elle donne à ses collègues administrateurs.
Mme Roedding, vous êtes administratrice et cadre en résidence du centre d’intégration de la durabilité de l’Université de Waterloo. Selon vous, dans quelle mesure les organisations canadiennes parviennent-elles à intégrer la durabilité dans leur gouvernance, leur stratégie et leurs pratiques commerciales?
Prenons d’abord un peu de recul. Je définirai ce que j’appelle la « durabilité ». Dans mon esprit, il s’agit des progrès accomplis dans la réalisation des 17 objectifs de développement durable des Nations Unies. Ce serait donc une définition large du terme, qui intègre le climat, mais aussi les aspects sociaux de la durabilité. Examinons maintenant les preuves concrètes : les Nations Unies établissent chaque année un classement des progrès accomplis par les pays dans la réalisation de leurs objectifs de développement durable. L’année dernière, le Canada s’est classé au 25e rang. L’Europe est encore bien plus avancée que le Canada en tant que pays. Cela dit, nous continuons à progresser, même si le rythme s’est ralenti. Nous ne pouvons pas ralentir notre élan.
Je dirais qu’en tant que pays, nous faisons meilleure figure dans certains des aspects sociaux de la durabilité que dans le domaine du climat. Selon le classement des Nations Unies, le Canada avance presque de façon latérale en matière de progrès sur le climat. L’objectif de notre pays pour 2040 est de réduire les émissions de 40 % par rapport aux niveaux de 2005. L’analyse scientifique montre que nous n’atteindrons pas cet objectif sans changements importants et sans que les organisations ne commencent à y prêter plus d’attention, ce à quoi les conseils d’administration peuvent contribuer.
En l’occurrence, au niveau de l’organisation, les entreprises, dans l’ensemble, intègrent bien la durabilité. Même celles qui ne sont pas des émettrices importantes. Et comment y parviennent-elles? En examinant chaque décision prise par l’organisation et en se demandant « Quelle est l’incidence sur la durabilité? ».
Les organisations sont guidées par quelques normes en matière de déclaration au niveau international. Cette année, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF), pour les banques et les institutions financières au Canada, rend la reddition de comptes obligatoire pour ces institutions par la Ligne directrice B-15 (Gestion des risques climatiques). Cela aura des retombées sur les entreprises dans lesquelles elles investissent et auxquelles elles prêtent de l’argent. À mes yeux, c’est un bonus, car tout ce que vous contrôlez et mesurez est examiné.
Pour ce qui est de l’avenir, je dirais que les organisations se mettent au diapason, qu’elles commencent à apprendre davantage et que les conseils d’administration sont mieux informés. L’essentiel est de mettre en place des mesures, d’examiner ce qui est important pour votre organisation et de fixer ces objectifs. Le climat est un domaine clé. Même en dehors des industries les plus émettrices – pétrole et gaz, agriculture et transports lourds – comment les organisations prennent-elles des décisions sur la manière dont elles peuvent contribuer de manière substantielle au développement durable, en établissant leur base de référence et en fixant des objectifs à long, moyen et court terme?
Comment voyez-vous le rôle pivot des conseils d’administration dans l’intégration?
Les conseils d’administration doivent bien comprendre les principes des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ou de durabilité. Ils ont besoin d’être éduqués; je le vois déjà. Si l’on considère que le rôle d’un conseil d’administration est de gouverner, de définir une stratégie et de gérer les risques, son rôle principal est de poser des questions pour aborder ces problèmes. Par contre, je dirais que ce qui fera vraiment avancer les choses pour les conseils d’administration, c’est la supervision de la manière dont l’organisation mesure les progrès réalisés en matière de durabilité – quelle est notre définition de la réussite? Si l’objectif est purement le profit, la durabilité n’est peut-être pas une priorité. Si la durabilité est importante pour une organisation, celle-ci doit mettre en place des indicateurs pour la direction et l’organisation, afin d’évaluer le rendement et de mesurer les progrès accomplis.
Dans l’ensemble, le rôle du conseil d’administration consiste à contribuer à l’établissement de ces priorités et de ces indicateurs, et la direction doit intégrer la durabilité dans les opérations, les politiques, les procédures, la planification du capital, etc.
Selon vous, quels sont les plus grands défis que doivent relever les organisations pour réaliser des progrès concrets en matière de climat?
Si je compare les progrès du Canada à ceux de l’Europe en observant les facteurs susceptibles de contribuer à la différence, je constate que l’Europe a mis en place des normes et des mesures législatives. L’Europe possède une solide étoile polaire en matière de durabilité : elle sait où elle va. L’harmonisation des lois a également été essentielle au succès de l’Europe et serait utile pour faire progresser les initiatives canadiennes en matière d’ESG.
Je dirais également qu’au Canada, le ralentissement économique que nous avons connu a incité les organisations à se concentrer sur la rentabilité plutôt que sur la durabilité, car c’est quelque chose qui a des répercussions plus immédiates qu’il faut essayer de gérer. C’est là, selon moi, que la définition des priorités du conseil d’administration est vraiment importante. Nous devons garder la durabilité au premier plan et la mesurer par rapport à des objectifs pour continuer à avancer. Il est possible d’être à la fois performant sur le plan économique et durable; il suffit d’observer certaines sociétés en Europe. Nous pouvons nous en inspirer et voir ce qu’elles font pour ne pas avoir à recréer la roue.
Selon vous, quelles seront les principales tendances en matière de gouvernance climatique au Canada au cours de l’année à venir?
Je pense que l’une des plus grandes tendances concernera les données. Les données sont essentielles lorsqu’il s’agit de durabilité, car, sans elles, il est impossible de suivre les progrès accomplis. Il est également possible de se protéger sur le plan législatif en disposant des données nécessaires pour étayer ses divulgations. Les investisseurs recherchent des données sur la durabilité. Je pense donc que les sociétés qui collectent et gèrent des données et qui s’intéressent à l’économie et à la durabilité connaîtront un certain succès.
Quels conseils donneriez-vous aux administrateurs qui souhaitent continuer à avoir un impact sur les changements climatiques lors d’une période d’incertitude concernant l’environnement politique?
Je suis certaine que cette année connaîtra bien des rebondissements. Je dirais aux administrateurs de se former et de comprendre ce qu’est la durabilité. Je constate encore une large perspective sur sa compréhension. Commencer par là, mais aussi comprendre ce que l’on peut faire pour y remédier. Quelles sont les options? On retrouve de nombreux articles intéressants, les Nations Unies disposent d’excellentes ressources, de même que l’Institut climatique et l’Initiative de gouvernance climatique, bien entendu.
Il est important de comprendre, du point de vue du risque, non seulement l’incidence de votre société sur le climat, mais aussi l’incidence du climat sur celle-ci, ainsi qu’un double point de vue sur la matérialité. C’est en comprenant bien cela que vos possibilités se préciseront. Il s’agit ensuite d’en tirer parti. Les sociétés qui sauront s’adapter et transformer les risques en possibilités connaîtront le succès.
L’incertitude politique est un défi pour les conseils d’administration. L’analyse SWOT (Strengths, Weaknesses, Opportunities, Threats [forces, faiblesses, opportunités, menaces]) fait apparaître une menace dans ce climat politique incertain. C’est un risque. Dans le cadre des normes canadiennes d’information sur la durabilité, les sociétés devront effectuer des analyses de scénarios concernant les changements climatiques – le pire des cas, le meilleur des cas et ce que chacun d’eux signifie pour la société. C’est selon moi toujours une bonne pratique lors de l’élaboration de la stratégie.
Comment maintenir l’élan dans l’incertitude? Ayez l’œil sur votre étoile polaire. Il y aura des distractions. Les conseils d’administration doivent se concentrer sur la stratégie de la société, sur la gestion des risques et sur la manière de composer avec cela tout en restant fidèle à ses objectifs de durabilité. Surveiller la situation en cas de changement des hypothèses, effectuer des analyses de scénarios et corriger le tir à mesure que les choses se précisent.
Biographie complète
Mme Jennifer Roedding CA/CPA, IAS.A, PPA, GCB.D, CCB.D, maîtrise en comptabilité
Mme Jennifer Roedding est présidente de Roedding Associates Management Consultants Inc., qui fournit une expertise en matière de transformation des entreprises dans de nombreux secteurs à l’échelle internationale. Elle est une administratrice de sociétés, une haute dirigeante et une consultante en transformation d’entreprise accomplie et innovante. Elle a prouvé sa capacité à apporter une valeur ajoutée, en aidant des centaines d’organisations à se transformer pour améliorer leur rentabilité, leur efficacité et leur efficience, conformément à leurs stratégies.
Sa carrière distinguée, tant dans le domaine de l’audit que dans celui du conseil, comprend 25 années passées dans un cabinet national, où elle a été associée consultante nationale pour les télécommunications et la technologie. Mme Roedding est administratrice de sociétés pour la Société des loteries et des jeux de l’Ontario (OLG) et présidente du comité d’audit, de gestion des risques et de conformité. Elle a également été présidente du conseil d’administration d’Alimentiv, une organisation internationale de biotechnologie et de recherche clinique présente dans 62 pays. Mme Roedding effectue actuellement son deuxième mandat en tant que membre élue du conseil des Comptables professionnels agréés de l’Ontario (CPAO). Elle est cadre en résidence du centre d’intégration de la durabilité de l’Université de Waterloo.